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INTRODUCTION

duelle est à la fois une composante et une résultante ; enfin, cette âme commune, il veut, pour la comprendre, la saisir en sa genèse même.


La cité et ses
gardiens.

Il n’est pas le premier à exposer cette genèse, et il le sait. Dans son dialogue Protagoras, il a fait conter au grand sophiste comment les humains, d’abord dispersés, se rassemblèrent pour se défendre contre les bêtes et fondèrent des cités, mais restèrent impuissants à les maintenir jusqu’à ce que Zeus leur envoyât, par le ministère d’Hermès, la pudeur et la justice. C’était d’ailleurs une description fréquente, chez les poètes du ve siècle, que celle de la vie animale, troglodyte, des premiers hommes. Au mythe de l’âge d’or, Xénophane n’avait-il pas, depuis longtemps, opposé la naissance laborieuse et lente de la civilisation[1] ? Platon utilise et transpose aussi bien l’une des idées que l’autre, lorsqu’il raconte à son tour comment naît une cité.

L’impuissance de l’homme isolé crée l’association, dans laquelle se développe très vite la division du travail et la spécialisation des fonctions : le germe de cité constitué par quatre ou cinq personnes qui s’unissent pour se procurer la nourriture, le logement, le vêtement, produit bientôt une cité complexe qui ne peut plus se suffire par elle-même et recourt au commerce, à la navigation, à tous les intermédiaires d’échange. À ce stade, limitée aux besoins les plus essentiels et les satisfaisant sans peine, cette cité de nature est un modèle d’innocence heureuse et de justice élémentaire : nourris d’orge, de froment, de légumes et de fruits, arrosant le tout d’un vin léger, ayant peu d’enfants, ses habitants ignorent les soucis, la pauvreté, la guerre. Ils vivent sainement et longtemps : n’est-ce pas l’âge d’or, tel que Platon le décrira dans le Politique et les Lois ? Mais cette béatitude sans les efforts

  1. Protagoras, 320 c-322 d. Voir Eschyle, Prométhée, 447-468, Sophocle, Antigone, 332 et suiv. Euripide, Suppliantes, 195 et suiv. Critias, Sisyphe, fr. 25, Phérécrate, les Sauvages, fr. 5 sq.. Kock, et, au ive s., Moschion, fr. 6 Nauck, mais aussi Isocrate, Nicoclès, 5-9, Antidosis, 253-257 et Panégyrique, 28-50. Cf. W. Nestle, Spuren der Sophistik bei Isokrates, Philologus, LXX, 1 (1911), p. 24/ 9, et sa récente (7e) édition du Protagoras, Leipzig, 1931, p. 22/6, p. 58-62, où les textes sont donnés au complet. — Pour Xénophane, cf. fr. 18 Diels.