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LA RÉPUBLIQUE

Adimante, qu’un être, quel qu’il soit, homme ou dieu, veuille prendre de lui même une forme inférieure sous quelque rapport que ce soit.

C’est impossible, dit-il.

Il est donc impossible même pour un dieu, repris-je, qu’il consente à changer, et chacun des dieux, étant le plus beau et le meilleur possible, garde toujours et invariablement, ce semble, la forme qui lui est propre.

Il me semble que cela est de toute nécessité, répondit-il.

dAlors, mon excellent ami, repris-je, qu’aucun poète ne s’avise de nous dire que

« les dieux, sous les traits de voyageurs étrangers, parcourent
les villes avec des déguisements de toute espèce[1] »,

qu’aucun ne débite ses mensonges sur Protée et Thétis[2], ni ne représente dans une tragédie ou tout autre poème Héra métamorphosée en prêtresse qui mendie

« pour les enfants bienfaisants du fleuve argien Inachos[3] »,

e

et qu’enfin on nous épargne cent autres mensonges du même genre. Que de leur côté les mères n’aillent pas, sur la foi des poètes, effrayer leurs jeunes enfants en leur contant mal à propos que des dieux circulent pendant la nuit, déguisés en étrangers sous mille formes diverses, et qu’ainsi elles évitent à la fois de blasphémer contre les dieux et de rendre leurs enfants plus peureux.

Qu’elles s’en gardent bien ! dit-il.

Mais, repris-je, peut-être que les dieux, incapables de changer de figure par eux-mêmes, peuvent du moins nous faire croire qu’ils se montrent sous ces formes diverses, par une sorte d’imposture et par des tours d’enchanteurs ?

Peut-être, dit-il.

382Mais quoi ! repris-je, un dieu voudrait-il mentir, en parole ou en action, en nous présentant un fantôme au lieu de lui-même ?

  1. Odyssée, XVII 485 sq.
  2. Sur Protée, voir Odys., IV, 456-8.

    Les transformations de Thétis, pour échapper au mariage avec Pelée, avaient été chantées par Pindare (Ném., IV 62 sqq.), par Sophocle (Fr. 548), peut-être par Hésiode dans son Epithalame pour Pélée et Thétis.

  3. Eschyle, Ξαντρίαι (Schol. d’Aristoph., Grenouilles 1344).