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XXVI
INTRODUCTION

sa dialectique, les beautés à foison. Mais tout en réduisant le plus possible le nombre des interlocuteurs pour ne pas contrarier le développement de l’exposé, il a voulu d’abord garder à la forme même du dialogue un peu de variété et d’animation. Aussi a-t-il conservé deux « répondants », dont l’alternance serait une première variété ; leurs caractères, transparents ou expressément indiqués, en seraient une autre. Mais, en ce ce qui regarde les caractères, il s’est contenté d’indications rapides, espacées et peu nombreuses[1], et, quant au rythme des alternances, il l’a laissé peu à peu s’allonger, se détendre et mourir. Après la fin du Livre III, nous voyons se succéder une série de dialogues à un seul répondant, dont la longueur dépasse parfois celle de Ménon ou même celle de Parménide. Tout entier à sa pensée, sûr du mouvement qui la portait et de la flamme qui l’illuminait, sûr peut-être même d’un public désormais conquis par elle, il l’a laissée maîtresse de son allure, libre de tout ce qui eût inutilement compliqué la forme élémentaire d’interrogation et de réponse qui demeure jusqu’au bout son exigence vitale.


Position
de la question
et méthode.

Au moment donc où Socrate croyait la conversation finie, Glaucon proteste contre la soumission trop prompte de Thrasymaque. Entre la justice et l’injustice, la question de valeur est loin d’être tranchée, car, dans la discussion qui précède, elle a été mal posée. Une chose, en effet, peut valoir par elle-même, ou par elle-même et par les avantages qu’elle procure, ou enfin par ses seuls avantages et non par elle-même. Or, entre Socrate et Thrasymaque, le débat n’a porté vraiment que sur les avantages ou désavantages comparés de la justice ou de l’injustice. Voilà ce qu’affirme Glaucon, et Glaucon a raison, quoi qu’en pensent certains critiques modernes qui croient trouver, dans une

  1. Le caractère d’Adimante n’apparaît qu’au ton et à la façon de ses interventions : il est plus pénétrant que Glaucon, voit mieux les lacunes du raisonnement et fait des objections plus graves. Le caractère de Glaucon est indiqué : 307 a (hardi et impétueux), 398 e (musicien), 459 a (amateur des chiens de chasse et des oiseaux de race), 474 d (porté à l’amour), 548 e (ambitieux, mais de façon noble, ami du bien dire). Wilamowitz a bien marqué (I1 p. 440/1) l’effacement progressif des caractères au cours de ce long exposé.