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XXI
INTRODUCTION

grand œuvre de la République ? Platon n’a-t-il pu avoir en tête, dès ce moment, son plan général, ses idées maîtresses, ses grandes divisions, sans pour cela être prêt à remplir complètement le cadre qu’il se traçait ? Quelle que soit, en gros, l’uniformité stylistique des Livres II-X, il ne les a cependant pas écrits d’un trait, sans respirer ; il les a composés lentement, à loisir, comme l’exigeait leur ampleur et comme le montre leur perfection ; et, parmi les critiques, plusieurs même de ceux qui acceptent qu’il les ait publiés par fractions successives, avec au moins un intervalle de quelques années, ne cessent pas pour cela d’affirmer leur unité et leur continuité de plan[1]. Qui empêche d’englober dans cette continuité le Livre I ? Le nombre d’années qui le sépare des autres Livres ? Si largement que l’on calcule, ce temps ne dépassera guère, il n’égalera peut-être pas celui qui fut nécessaire pour les écrire. Nous n’avons d’ailleurs qu’à prendre ce Livre I tel qu’il est pour voir qu’il s’adapte admirablement aux autres et qu’il leur est la plus merveilleuse préface qu’on puisse rêver, posant la question fondamentale, amenant sur la scène, à côté des personnages d’introduction, et mettant en relief à dessein les futurs grands rôles du dialogue, semant de-ci de-là, discrètement mais visiblement, les idées qui formeront les membrures de l’œuvre, préparant celle-ci autant par ses silences et ses lacunes que par ses suggestions[2]. Expliquer tout

  1. C. Ritter, Untersuchungen, p. 46/7. Zeller, p. 555/8. Lutoslawski, p. 319 et suiv.
  2. Sur ces correspondances, cf. Adam un peu partout au cours de son commentaire, Hirmer, Reip. Comp., p. 606/8 et tout récemment Verdam (De Platonis dialogo Thrasymacho qui vocatar, Mnemosyne LV, 3 (1927), p. 313 et suiv.). Celui-ci a surtout bien montré comment la tripartition est essentielle à la composition de la République : or, elle se répète dans la distribution des rôles, Socrate représentant l’amour de la sagesse, Glaucon l’amour des honneurs, Thrasymaque l’amour de l’argent. On ne comprendra bien ces correspondances qu’au cours de notre analyse. Disons pourtant dès maintenant que Céphale aura son répondant au Livre X dans Er (les châtiments infernaux), que les rôles de Glaucon et d’Adimante sont déjà préparés dans I, que la façon grossièrement utilitaire dont Thrasymaque conçoit les fins du pouvoir (I, 345 e) aura comme réponse la théorie du pouvoir-service (III, 416 a/b), que la nécessité d’une contrainte pour obliger les meilleurs à gouverner (I, 347 d) sera expliquée par VII, 520 d, que la justice créatrice d’harmonie et de