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INTRODUCTION

qui dépasse ce que prescrirait le médecin le plus éclairé ? D’ailleurs, l’emporter ainsi sur tous, est-ce bien une marque de force ? Oui, mais cela n’arrive, dit Thrasymaque, traduisant comme toujours la sagesse réaliste du siècle, qu’à la cité parfaitement gouvernée et parfaitement injuste. Or, c’est là une erreur, car une cité, une armée, une bande même de voleurs, ne réussit dans ses entreprises injustes que si elle garde encore assez de justice pour tenir ses membres en accord, et capables de s’unir dans une œuvre d’ensemble. C’est que la justice est, dans le groupe et dans chacun de ses membres, condition indispensable d’harmonie et de puissance (352 d).

Enfin, chaque chose a son œuvre propre, mais ne saurait la faire si elle ne possède la vertu requise pour cette œuvre. On peut, à la rigueur, tailler la vigne avec un couteau, mais tailler la vigne est proprement l’œuvre d’une serpette. Ainsi voir est l’œuvre des yeux, entendre celle des oreilles, et penser, délibérer, vivre, est l’œuvre propre de l’âme. Si l’âme est privée de sa vertu, vivra-t-elle bien ? Assurément non. Or, la vertu propre de l’âme, c’est la justice. Donc l’âme injuste vivra mal, et malheureuse ; l’âme juste vivra bien, et bienheureuse (354 a).

Mais, si logique soit-elle, cette conclusion est prématurée. Avant de décider si l’injustice est ou non plus avantageuse que la justice, il eût fallu résoudre la première question que nous nous sommes posée : en quoi consiste la justice ? Et, cette question, nous l’avons laissée en route (354 c).


Le Livre I
et la critique.

Ainsi finit ce premier Livre. À le lire sans connaître ce qui suit, on a l’impression d’un dialogue achevé. La critique a noté cela, au moins depuis Hermann, et en a tiré des inférences qui vont parfois jusqu’à l’extrême. Cependant, Ferdinand Dümmler, qui fut le premier à donner au dialogue supposé le titre Thrasymaque, se refusait à le croire complet dans sa teneur présente, jugeant à bon droit qu’une apologie platonicienne de la justice est inimaginable, à quelque date qu’on la rapporte, si elle se termine sans ouvrir au moins quelque échappée sur les rémunérations de l’au-delà. Il estimait aussi que la comparaison inévitable avec Gorgias lui fait tort, et, pour ce motif, voulait que ce Thrasymaque