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INTRODUCTION

le législateur est infaillible en tant que tel et ne pèche qu’en cessant d’être législateur ; la justice est donc l’intérêt vrai du plus fort (341 a).

Mais aucune technique ne cherche son bien propre : elle l’a en elle-même, tant qu’elle est saine et parfaite. Le seul bien qui manque et qu’elle cherche par destination, c’est le bien du sujet auquel elle s’applique. Médecin, pilote, gouvernant, ne cherchent donc pas leur avantage personnel, mais seulement celui de leur sujet. Sottise, dit Thrasymaque : est-ce pour leur bonheur à elles que le berger engraisse ses brebis ? Aussi la justice est-elle réellement avantage du fort qui commande, dommage du faible qui obéit. D’où l’infériorité constante du juste : le tyran, qui réalise l’injustice intégrale, est envié par ceux-là mêmes qui le blâment, car on ne blâme l’injustice que par crainte de la subir (344 c).

Il est étrange alors que le vrai gouvernant ne gouverne pas par plaisir et que toutes les techniques exigent un salaire. C’est cela, d’ailleurs, qu’elles ont de commun. Distinctes qu’elles sont les unes des autres par leur efficacité respective, la médecine ayant pour œuvre la santé, l’architecture la bâtisse, elles se ressemblent en cela que, pour faire vivre celui qui les exerce, une technique nouvelle s’adjoint à chacune d’elles, la même pour toutes : la technique du gain. Leur efficacité propre et directe demeure consacrée au bien de leur sujet. On ne gouverne donc que dans l’intérêt des gouvernés, et c’est pour cela qu’il faut un salaire même, ou plutôt surtout, aux honnêtes gens, pour les décider à briguer le pouvoir. Non pas de l’argent, ni des honneurs, mais la conviction qu’ils évitent ainsi d’être gouvernés par des méchants. Dans une cité d’honnêtes gens, le sort de simple gouverné susciterait autant de brigue qu’aujourd’hui celui de gouvernant (347 d).

Thrasymaque maintient que la justice est niaiserie, et l’injustice sagesse et vertu, surtout lorsqu’elle est parfaite et subjugue cités et nations, car le métier de coupeur de bourses a du bon aussi, mais jamais pour longtemps. Or, cette ardeur, chez l’injuste, à l’emporter sur tous, justes et injustes, est marque d’ignorance et de perversion, car aucun technicien n’agit ainsi : le musicien travaillera-t-il à tendre les cordes de sa lyre au delà du point où les tend le parfait technicien dans son art, ou le médecin à prescrire une diète