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pour cela, semble-t-il, qu’il faut assurer un salaire à ceux qui consentent à commander, soit de l’argent, soit de l’honneur, soit une punition, s’ils refusent.


XIX  Que veux-tu dire par là, Socrate ? demanda Glaucon. Je vois bien ce que sont les deux salaires ; mais en quoi consiste cette punition dont tu parles et comment tu lui attribues la valeur d’un salaire, je ne le vois pas.

C’est que tu ne connais pas le salaire des honnêtes gens, bcelui pour lequel les plus vertueux gouvernent, quand ils veulent bien s’y résoudre. Ne sais-tu pas que l’amour des honneurs et des richesses passe pour une chose honteuse et l’est en effet ?

Je le sais, dit-il.

Aussi, continuai-je, les gens de bien ne veulent gouverner ni pour des richesses ni pour des honneurs : ils ne veulent pas être traités de mercenaires, en exigeant ouvertement le salaire de leur fonction, ni de voleurs, en tirant eux-mêmes de leur charge des profits secrets. Ils ne sont pas non plus attirés par les honneurs ; car ils ne sont pas ambitieux. Il faut donc cqu’une punition les contraigne à prendre part aux affaires ; aussi risque-t-on, à prendre volontairement le pouvoir, sans attendre la nécessité, d’encourir quelque honte[1]. Or la punition la plus grave, c’est d’être gouverné par un plus méchant que soi, quand on se refuse à gouverner soi-même : c’est par crainte de cette punition, ce me semble, que les honnêtes gens qu’on voit au pouvoir se chargent du gouvernement. Alors ils se mêlent aux affaires, non pour leur intérêt ni pour leur plaisir, mais par nécessité et parce qu’ils ne peuvent les confier dà des hommes plus dignes ou du moins aussi dignes qu’eux-mêmes. Supposez un État composé de gens de bien : on y ferait sans doute des brigues pour échap-

  1. Certains critiques ont suspecté et rejeté cette phrase. Ils ne trouvent pas qu’il y ait de la honte à prendre le pouvoir ; au contraire, l’ambition dénote une grande énergie et comporte quelque noblesse aux yeux des modernes. Mais aux yeux du philosophe, l’amour des honneurs n’est que l’effet de la vanité, d’une vanité puérile dont on devrait rougir. Il n’y a donc pas lieu de suspecter le passage.