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LA RÉPUBLIQUE

Et pour poser des briques et des pierres, le juste est-il un associé plus utile et meilleur que le maçon ?

Non pas.

Mais si le cithariste est meilleur que le juste pour frapper les cordes, pour quelle affaire commune le juste est-il un meilleur associé que le cithariste ?

Pour les affaires d’argent, ce me semble.

Sauf le cas peut-être, Polémarque, où il faut faire usage de l’argent, par exemple s’il faut acheter ou vendre un cheval en commun ; calors, selon moi, c’est l’homme de cheval, n’est-ce pas ?

Il me le semble.

Et s’il s’agit d’un bateau, c’est le constructeur ou le pilote.

Il semble.

En quel cas donc le juste sera-t-il plus utile que les autres dans l’emploi que l’association fera de son or ou de son argent ?

Dans le cas d’un dépôt qu’on veut retrouver intact, Socrate.

C’est-à-dire quand on ne veut faire aucun usage de son argent et qu’on le laisse oisif ?

Oui, vraiment.

C’est donc quand l’argent est inutilisé et pour cette raison même dque la justice est utile[1] ?

Apparemment.

Quand donc il faut conserver une serpette, la justice est utile à l’association et à l’individu ; mais quand il faut s’en servir, c’est l’art du vigneron.

Il le semble.

De même, s’il s’agit de garder un bouclier ou une lyre sans en faire usage, tu diras que la justice est utile ; mais que, s’il faut s’en servir, c’est l’art de l’hoplite ou du musicien.

Il le faut bien.

  1. Socrate, ou plutôt Platon, s’amuse à conduire son jeune interlocuteur à une conclusion ridicule. Il abuse de la dialectique, comme les sophistes dont il réprouve ailleurs la méthode. C’est ce badinage qui soulève la bile de Thrasymaque, impatient d’entamer une discussion plus sérieuse, ce qui lui fera dire tout à l’heure : « À quel verbiage vous amusez-vous, Socrate, depuis si longtemps ? »