une abstention laborieuse, dans l’effort associé d’un certain nombre d’intelligences sous la conduite d’un maître, elle oscillera forcément entre deux attitudes, celle du renoncement durable, parce que le monde est trop mauvais, celle de l’expectative ardente vers le moment où l’on conquerra ou convertira le pouvoir. En attendant, on forme les esprits et les cœurs, et ceux-ci s’éprennent de plus en plus aussi bien de la poésie de cette recherche commune que de l’âpre séduction des vérités qui en sont le but. La joie de la conversation vivante et du mutuel amour qu’elle nourrit, la complaisance, si naturelle aux esprits grecs, dans les jeux savants de la dialectique, la poursuite passionnée des sciences qu’on n’a d’abord cultivées qu’à titre d’auxiliaires dans l’ascension vers la vision du Bien, tout cela fit la vie et la fécondité de l’Académie, tout cela fait aussi la vie prodigieuse, le charme inépuisable, la valeur d’éternité des dialogues. Nous n’avons donc pas besoin de déflorer Platon ni d’en faire un sec et froid doctrinaire pour soutenir la thèse du primat de la politique dans sa philosophie. Car Platon a joui et de ce foisonnement inévitable autour de la pensée maîtresse, et de la richesse qu’il donnait à son enseignement comme à son œuvre écrite ; mais il a toujours conservé, dominante, l’idée de la Cité Sainte, et, quand il l’a fallu, a tout risqué pour la réaliser. Le charme puissant de la République vient de ce qu’elle nous montre, mieux que tous les autres dialogues, et, à leur défaut, suffirait seule à nous montrer cette complexité harmonieuse de son génie et de sa vie[1].
- ↑ J’aurai déjà trop de notes pour les proportions de cette introduction ; j’aurais dû cependant les multiplier pour appuyer mes assertions, indiquer les livres ou articles qui me les ont inspirées ou sont propres à les illustrer. Une bibliographie de la seule République ferait un volume. Je signale seulement ce qui me paraît le plus marquant, et rendrai ainsi un peu de ce que je dois parfois aux auteurs que je n’ai pu citer. Commentaires : Procli in Rempublicam, éd. Kroll, vol. 2, Leipzig, 1899-1901 ; B. Jowett a. L. Campbell, vol. 3, Oxford, 1894 (I Texte, II Essais, III Commentaire); J. Adam, texte et comm., vol. 2, Londres, 1902 ; Peroutky et Novotny, trad. avec introd. et notes, Prague, 1921 (en tchèque) ; O. Maass, Platons Staat, Leipzig, 1921 (texte et comm. scolaire) ; W. Andreae, Platons Staatschriften, II. 2. introd. et notes, Iena, 1925 ; St. Lisiecki, trad. avec introd. et notes, Cracovie, 1929 (en polonais) ; P. Shorey, Plato