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INTRODUCTION

qui montrent ses conditions, sa possibilité, sa préparation progressive. C’est à cela qu’il pourvoit par les allusions rapides, mais si claires, qu’il fait au Phédon (64 a/8 b, 78 b-84 b) : parenté de l’âme avec l’intelligible et le divin, son emprisonnement actuel dans la boue pesante du corps, sa purification et libération progressives, sa presque absolue simplicité de nature défigurée par la vie corporelle et les passions et retrouvée peu à peu par une désincarnation qui se poursuit, de vie en vie, jusqu’à l’immatérialité parfaite. Il ne se sent donc pas si éloigné du Phédon qu’ont pu le croire beaucoup de critiques et n’a aucun besoin de renoncer à l’une ou l’autre des preuves avancées dans ce dialogue. Il n’y a jamais affirmé la simplicité absolue de l’âme, mais sa ressemblance native et presque indéfiniment perfectible à l’essence intelligible et absolument simple ; il l’y a dite, non totalement, mais presque indissoluble (80 b/c). Il y a déclaré que seul est indissoluble par nature ce qui est incomposé (78 c), il n’a pas exclu une autre sorte d’indissolubilité, qui se fonderait sur l’excellence du composé et sur la sagesse divine, répugnant à détruire un tel composé (Timée 41 a/b). C’est à cette indissolubilité de grâce divine qu’il fait appel ici pour concilier tripartition et immortalité. La composition de l’âme est-elle assez parfaite pour mériter cette grâce ? Nous pourrions croire que non en nous rappelant la créature monstrueuse qui nous servit à figurer cette composition. Mais elle ne la figure, en réalité, que déformée par la vie terrestre. Nous ne pouvons pas plus juger de la vraie nature de l’âme sur cette image faussée, que nous ne jugerions de la forme naturelle de Glaucus sur la chose sans nom qu’en a faite ce long séjour au fond de la mer (611 d). Glaucus avait un corps, mais les membres primitifs (τά τε πάλαια τοῦ σώματος μέρη) en ont été ou brisés ou défigurés, et d’autres lui ont poussé en plus de ceux-là, accrétions étrangères, amas de coquillages, d’algues et de cailloux (ἄλλα δὲ προσπεφυκέναι). Ainsi la bête polycéphale poussait à volonté (δυνατοῦ φύειν ἐξ αὑτοῦ) ces têtes apprivoisées ou sauvages qui accroissaient sans cesse et compliquaient de plus en plus la créature composite originelle (588 c). À voir Glaucus au fond de la mer, à voir notre âme défigurée par ces excroissances sauvages, comment dire si, dans sa nature réelle, elle est simple, ou multiple, ou de quelle façon vraiment elle est faite (εἴτε πολυειδὴς εἴτε μονοειδὴς