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INTRODUCTION

lorsqu’il cite bout à bout cette série de brocards lancés contre la chienne hurleuse (cf. Lois, 967 d), contre les tas de paroles vides et les rognures de pensée dont vivent ces mendiants de philosophes. Aristophane n’eut pas le monopole de ces railleries, et Platon pouvait choisir. Il n’avait pas à nous rappeler ici les coups portés ou rendus par la philosophie, les indignations de Xénophane (fr. 10-12 D.) et les sarcasmes d’Héraclite (fr. 40/2, 56/7) : de même qu’il avait, dans le Gorgias, livré le grand combat à la rhétorique, il a, dans ses Livres II et III, épuisé le débat contre l’autre rivale en éducation. Dans sa lutte contre la rhétorique, aucune hésitation sentimentale ne le retenait. Ici, les admirations de l’enfance et des tendresses toujours vivaces plaident contre la raison sévère. Mais tout cela n’est-il pas l’emprise persistante de l’éducation donnée par « ces beaux régimes » que remplacera la cité parfaite ? En tous cas, il faut sauver « sa cité intérieure » et libérer sa conscience : trahir ses convictions serait une impiété (607 b-608 b).

2. — Les récompenses de la justice.


L’immortalité
de l’âme.

À quoi, d’ailleurs, sacrifierait-on ses convictions ? Que peut-il y avoir de grand dans la vie, dans ce bref intervalle entre l’enfance et la vieillesse ? Et comment un être immortel pourrait-il enfermer dans cette étroite durée sa pensée faite pour l’éternité ? De quel être immortel s’agit-il donc ? Glaucon s’étonne. Il oublie que Socrate (VI, 498 d), en prêchant Thrasymaque et le reste de ses auditeurs, entendait, sinon les convaincre immédiatement, du moins semer en eux des pensées utiles pour le jour où ils reviendraient sur la terre, et ce délai, disait-il en réponse à l’exclamation sceptique de Glaucon, est bien court au regard de l’éternité (498 d). Platon a donc posé ses jalons. D’avance, ou après coup ? Peu nous importe, car cette démonstration de l’immortalité était certainement voulue d’avance. Même des séparatistes comme Dümmler reconnaissent qu’une apologie de la justice sans rémunération dans l’au-delà est inconcevable pour Platon et, à cause de cela, ajoutent, à l’hypothétique Thrasymaque, précisément la démonstration de l’immortalité