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civ
INTRODUCTION

constituent l’individu, étaient déjà les pivots de la définition de la justice (Livres II-IV) et de la classification destinée à montrer, dans la suite des cités imparfaites, la genèse et la croissance progressive de l’injustice (Livres VIII-IX, 676 b). La distinction des degrés d’être et des degrés de vérité correspondants a servi plus spécialement à fonder les droits du philosophe sur le gouvernement de la cité parfaite et à déterminer la nature et les étapes de l’éducation à laquelle serait astreint ce philosophe-roi (Livres V 471 e-VII). On peut, avec James Adam (II, p. 334), dire que le premier de ces arguments est surtout politique, le second psychologique, le troisième métaphysique, mais à la condition d’observer que la théorie du plaisir, même dans le troisième argument, ne s’élève aux régions plus hautes qu’en s’appuyant sur l’expérience psychologique.

L’excellence et la félicité relatives de deux individus sont les mêmes que celles des deux cités correspondantes, ou, comme Platon aime à l’exprimer en langage de proportion mathématique : ce qu’une cité est à une cité, l’homme-type de cette cité l’est à l’homme-type de l’autre (676 c). Pour juger du bonheur ou du malheur de la cité où règne le tyran, il ne faut pas se laisser éblouir par le faste dont se parent le tyran et ses satellites : il faut pénétrer au cœur de la cité. Alors on verra qu’elle est la plus infortunée de toutes, et celle que gouverne le roi formé selon nos vœux, la plus fortunée. Ainsi pour l’individu tyrannique et le tyran lui-même : il faut, pour le juger, l’avoir vu chez lui, dans sa vie de tous les jours, ou dans les dangers graves. Alors on le trouvera aussi esclave que la cité qu’il opprime, aussi pauvre et irrassasié, aussi rempli de craintes et de gémissements. D’ailleurs, pour apercevoir à nu la faiblesse d’un potentat, il n’y a qu’à le dépouiller de tout ce que l’environnement social lui confère de sécurité. Que serait, transporté au milieu d’un désert avec sa femme, ses enfants et toute sa bande d’esclaves, le maître orgueilleux à qui tout obéit ? Un simple homme, à la merci de cette bande, lui et les siens : il lui faudrait trembler, flagorner, être esclave de chacun pour se garer de tous, surtout si le voisinage d’antiesclavagistes les excitait et les soutenait. Ainsi vit le tyran, seul, claustré, enviant la liberté du moindre bourgeois ; esclave de ses frayeurs comme de ses passions, lui qui commande aux