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INTRODUCTION

retenue ! Mais, à la démesure et à la violence, il préfère εὐνομίη (fr. 3 et 28). Alors que la démocratie est pouvoir responsable, délibération commune et ἰσονομίη, le gouvernement d’un seul ou tyrannie, dit Otanès chez Hérodote, est irresponsabilité, démesure, envie et violence (II, 80). Les tragiques opposent la πόλις grecque au despotisme oriental, Sophocle condamne la tyrannie au nom des lois sublimes « dont l’Olympe seul est le père », Thucydide regarde la loi et la tyrannie comme les deux pôles extrêmes, et le tyran comme un égoïste absolu qui ne gouverne que pour lui et non pour le bien de la cité. Même lorsque l’idée du monarque arbitre et sauveur aura fait son chemin, c’est par ces marques traditionnelles que Xénophon distinguera le tyran et le roi : celui-ci règne conformément aux lois sur des sujets qui l’acceptent de plein gré ; l’autre commande par la force, en ne suivant que son caprice et sans consulter les lois (Mém., IV, 6, 12).


La tyrannie
et le tyran
dans Platon.

Nous verrons, dans le Politique, à quelle critique Platon soumet ces prétendues marques distinctives du bon et du mauvais gouvernant. L’essentiel de cette critique n’est d’ailleurs pas fait pour surprendre les lecteurs de la République : le gouvernant idéal est celui qui gouverne par science ; du moment qu’il a cette science, il ignore tous ces critères usés, fortune ou pauvreté, violence ou persuasion, respect ou mépris des lois ; il peut et doit se passer aussi bien du consentement de ses sujets que de toute légalité définie par des textes ou des coutumes (296 e et suiv.). Le Politique n’en dira pas moins que le respect de la loi est la seule sauvegarde des gouvernements imparfaits (301 a). Or, ici, nous sommes dans les gouvernements imparfaits ; nous venons de suivre les degrés de leur déchéance progressive et nous sommes parvenus au fond de cette déchéance. Ne nous étonnons donc pas de nous mouvoir encore entre des oppositions traditionnelles, si nouveau que soit l’esprit qui les interprète.

Toute constitution se corrompt par l’excès même de sa tendance naturelle. La passion de l’argent a perdu l’oligarchie, la passion de la liberté perd la démocratie. Tout gouvernant qui exige le respect des lois est accusé et condamné comme oligarque, tout citoyen qui se soumet aux lois méprisé comme un vil esclave : gouvernants et gouvernés, parents et enfants,