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INTRODUCTION

social, donnant le pouvoir avant tout à l’argent et créant, dans chaque cité, en face des anciens et des nouveaux riches, une plèbe besogneuse et remuante qu’encadrèrent peu à peu les gens de métiers et les marchands, en train de se faire une solide aisance et résolus à conquérir une place dans la cité comme ils en avaient une à l’armée. Il se trouva presque partout des aristocrates ruinés ou simplement pressés d’ambition pour flatter cette force nouvelle, la mener à la bataille et lui faire accepter, dans leur propre élévation, sa victoire. La plupart des tyrans se donnèrent, en effet, comme les défenseurs du peuple. C’est du viiie au vie siècle, mais surtout dans le viie et le viiie que les cités commerçantes ou industrielles, celles d’Éolide, d’Ionie et des îles d’abord, puis, en Grèce propre, Sicyone, Corinthe, Mégare, enfin Athènes avec Pisistrate et Hippias, accomplirent cette révolution. À la fin du vie siècle et au commencement du ve, elle se produisit dans presque toutes les villes de Sicile et de la Grande-Grèce. Ennemis des riches, dont ils confisquent les gros domaines pour les partager aux paysans, protecteurs du commerce et de l’industrie, ils favorisent le petit peuple, répandent les cultes qu’il aime, mais développent aussi la vie de cour, le luxe, les lettres, les arts. Toutefois, issu de la force, pesant non seulement aux riches, mais aux pauvres mêmes quand il a facilité leur montée sociale, leur pouvoir disparaît d’ordinaire assez vite et laisse un renom généralement odieux. Les Grecs n’ont jamais aimé le « monarchisme », jamais supporté longtemps l’hégémonie d’un homme ou celle d’une cité, et peut-être, en fait, n’ont-ils jamais toléré, sauf trop tard et imposé du dehors, un pouvoir fort. Si enclins qu’ils fussent toujours au développement exagéré de l’individualité, si riches en candidats à la tyrannie, en condottières et en aventuriers de toutes sortes, ils eurent, chez eux, le culte de la liberté, de l’égalité devant la loi. C’est à cet idéal que toute leur littérature oppose le tyran[1]. Arbitre entre les partis, Solon aurait pu se faire tyran, tant d’autres l’auraient fait et blâment sa

  1. Pour l’histoire de la tyrannie, cf. Glotz, Hist. Gr. I, p. 238-250, Cité Gr., p. 126-186. Pour l’opposition littéraire du tyran à la cité et à la loi, G. Heintzeler, Das Bild des Tyrannen bei Plato, Stuttgart, 1927, p. 1-15. À la bibliographie de Glotz, Hist. Gr., I, n. 84, ajouter Fr. Cornelius, Die Tyrannis in Athen, Munich, 1929.