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INTRODUCTION

l’homme timocratique. Il est né, dans une cité mal gouvernée, d’un père qui se réfugiait dans l’abstention et d’une mère qu’exaspéraient ce calme renoncement et cette médiocrité volontaire, et, la sagesse de l’un l’empêchant d’aller jusqu’à la vie de plaisir, le bruyant dépit de l’autre et les commentaires quotidiens de ses gens cultivèrent en lui la passion des honneurs (550 c).


L’oligarchie

Une timocratie de ce genre est représentée dans l’histoire par la Sparte des origines et surtout par la Sparte du ve siècle, en voie déjà de s’appauvrir en hommes par orgueil féodal et de corrompre ses rudes vertus par l’amour de l’argent. Celle du ive siècle a descendu la pente : parmi les huit à neuf mille citoyens égaux, elle a laissé s’aggraver de plus en plus les inégalités que créait la fortune, banni de sa grande assemblée comme inférieurs un nombre de plus en plus grand de citoyens ruinés par l’emprunt, et ne mettra plus en ligne à la bataille de Leuctres que deux mille Spartiates. Fermée à tout renouvellement, décimée par la guerre, cette minorité ne fera que décroître, d’autant qu’elle est riche du butin fait sur l’ennemi, de l’argent extorqué aux cités occupées ou gagné de la main gauche dans les missions et les ambassades, de l’usure pratiquée sans pitié sur ceux de ses membres moins favorisés qui hypothèquent leur kléros inaliénable et insuffisant, et que, riche et jouisseuse, elle a de moins en moins d’enfants. Lacédémone est, à l’époque de Platon, la cité de Grèce la plus pauvre en hommes (Xénophon, Rép. Lacéd. I, 1, Hellén. III, 3, 5-6) et la plus riche en or (Platon, Alcib. I, 122 d 23 a). Mais elle n’a plus seulement à craindre, à l’intérieur, la haine des Hilotes, qu’elle a toujours contenus par la terreur et dont elle se défie d’autant plus aujourd’hui qu’elle est maintenant forcée de les armer pour sa défense : il n’y a pas un Périèque, pas un inférieur qui ne soit « prêt à manger tout vifs » ses oppresseurs, et la conspiration de Cinadon (398), cruellement réprimée, a révélé un mal qui ne fera que croître[1].

  1. Sur les causes de la décadence de Sparte, voir Ehrenberg, RE, III, A 2, loc. cit.}}, cf. P. Cloché ap. P. Roussel, La Grèce et l’Orient, p. 395, et le magnifique exposé de Glotz, Hist. Gr., I, p. 867/70 ;