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CRATYLE

Hermogène. — Qu’entends-tu par là ?

Socrate. — Rien de compliqué. Les éléments, par exemple, tu sais que nous les désignons par des noms, et non par les éléments eux-mêmes, à l’exception de quatre : l’e, l’u, l’o et l’ô. Les autres, voyelles et consonnes[1], tu sais e que nous y ajoutons, pour les nommer, d’autres lettres[2]. Mais, tant que nous y exprimons clairement la valeur de l’élément, il est juste de donner à celui-ci le nom qui le désignera clairement pour nous. Soit, par exemple, le bêta. Tu vois que l’addition de l’ê, du t et de l’a, n’a rien gâté et n’empêche point de manifester la nature de cet élément à l’aide du nom tout entier, comme le voulait le législateur ; tant il a su donner aux lettres les noms convenables !

Hermogène. — Tu me parais avoir raison.

Socrate. — Et du roi, n’en dira-t-on pas autant ? 394 D’un roi naîtra un roi, d’un homme bon un bon, d’un bel homme un beau, et ainsi de tout le reste ; chaque race donnera naissance à un rejeton semblable, sauf en cas de monstruosité ; il faut donc employer les mêmes noms. Mais on peut en varier la forme au moyen des syllabes, de sorte que le profane pourrait s’imaginer qu’ils diffèrent, bien qu’ils soient les mêmes. Les drogues des médecins, extérieurement variées par la couleur ou l’odeur, nous paraissent différentes, tout en étant les mêmes ; mais le médecin, qui b en considère la vertu, y voit les mêmes remèdes, sans s’en laisser imposer par les accessoires. Il en est sans doute ainsi de celui qui a la science des noms : il en examine la valeur, et ne s’en laisse pas imposer si une lettre a été ajoutée, déplacée ou retranchée, ou même si c’est par des lettres entièrement différentes que s’exprime la valeur du nom. Comme nous le disions à l’instant, Astyanax et Hector n’ont d’autre lettre commune que le t, et pourtant leur sens c est le même. Et le nom d’Archépolis, quelle lettre a-t-il en

  1. Socrate ne distingue ici que deux catégories d’éléments. Plus loin, 424 c, il en indiquera une troisième : « ceux qui, sans être des voyelles, ne sont pourtant pas des muettes ».
  2. Les quatre voyelles mentionnées sont les seules lettres de l’alphabet grec qui soient désignées par le son qu’elles représentent. Les autres portent un nom dont la lettre elle-même ne forme que l’initiale. Les dénominations d’épsilon, upsilon, oméga, omicron, datent de l’époque byzantine.