Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome V, 2.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
388 d
58
CRATYLE

Hermogène. — Certes non.

Socrate. — N’est-ce pas la loi (l’usage) à ton avis qui les met à notre disposition ?

Hermogène. — Apparemment.

Socrate. — C’est donc l’ouvrage du législateur[1] que le bon instructeur utilisera en e se servant du nom ?

Hermogène. — C’est mon avis.

Socrate. — Et législateur, tout homme l’est-il à ton avis, ou seulement celui qui possède cet art ?

Hermogène. — Celui qui possède cet art.

Socrate. — Ainsi, Hermogène, ce n’est pas au premier venu qu’il appartient d’établir le nom, mais à un faiseur de noms ; 389 et celui-là, semble-t-il, est le législateur, c’est-à-dire l’artisan qui se rencontre le plus rarement chez les humains.

Hermogène. — Il le semble.


La tâche du législateur.

Socrate. — Or çà, examine donc sur quoi le législateur fixe les yeux quand il établit les noms. Remonte, pour l’examiner, aux exemples précédents. Sur quoi le menuisier a-t-il les yeux quand il fait la navette ? N’est-ce pas sur un objet naturellement propre au tissage ?

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — Et si la navette se brise pendant la fabrication, b en refera-t-il une autre en tenant les yeux sur la navette brisée, ou sur cette forme dont il s’inspirait en faisant la navette qu’il a brisée ?

Hermogène. — Sur cette forme-là, ce me semble.

Socrate. — Nous serions donc tout à fait en droit de l’appeler la navette en soi ?

Hermogène. — C’est mon avis.

Socrate. — Quand il s’agit de faire une navette pour un

    si les noms ont « une certaine justesse naturelle ». Plus loin elle sera reprise par Cratyle, qui lui donnera d’ailleurs une forme plus précise et absolue. Socrate alors la combattra, en montrant qu’elle n’est plus soutenable si la convention a une part dans la formation du langage.

  1. Socrate laisse dans le vague cette notion du législateur, dont les commentateurs ont beaucoup discuté, les uns y voyant le peuple, d’autres un personnage mythique ou un homme doué d’un instinct divin, d’autres enfin les premiers hommes.