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NOTICE

il ne se croit plus en droit de reculer[1] ? L’image fait naturellement songer à Héraclès, qu’Antisthène avait pris pour modèle avant les Stoïciens, et dont il avait donné le nom à plusieurs de ses écrits[2].

Il est peu probable, cependant, que l’ensemble du Cratyle ait été inspiré à Platon par son hostilité contre Antisthène. On n’a pas le droit de rattacher Antisthène à l’école d’Héraclite, en croyant l’apercevoir derrière Cratyle, ni de lui attribuer les théories de celui-ci sur la justesse naturelle du langage ; il se fondait au contraire sur les principes des Éléates[3]. On a fait justement ressortir qu’adversaire déclaré de la théorie platonicienne des Formes, il n’aurait pu y donner son assentiment, comme le fait sans hésiter Cratyle[4]. La thèse qu’il est impossible de dire faux, d’origine éléatique, n’appartenait pas en propre à Antisthène ; c’était devenu un lieu commun de la sophistique : « Elle a été souvent soutenue, dit Socrate, autrefois comme de nos jours » (429 a). Quant à la plaisanterie sur la peau du lion, il est possible qu’elle s’adresse à Antisthène, car c’est bien aux travaux d’Héraclès que Socrate paraît faire allusion ; mais elle peut être aussi un souvenir de l’apologue (L’âne qui passait pour être un lion) qui figure dans les fables d’Ésope.

En somme, sans nier que certaines attaques du Cratyle aient pu atteindre Antisthène, ou même être orientées contre lui, on ne voit pas le moyen de leur prêter cette signification avec certitude[5]. Ici comme dans d’autres dialogues, le Théétète par exemple, Platon semble avoir en vue plusieurs sortes d’adversaires, et il serait imprudent de vouloir mettre des noms sur des théories qui n’étaient sans doute pas le fait de tel ou tel, mais se retrouvaient dans divers milieux sous l’influence d’une sophistique plus ou moins rattachée au système d’Héraclite.

  1. 411 a.
  2. Kiock, o. l., p. 44 et suiv., estime que Platon, attaquant le type du sophiste grammairien, a eu surtout en vue Antisthène, bien qu’il ait réuni des traits pris çà et là, dont quelques-uns n’appartiennent pas à Antisthène.
  3. Gomperz, o. l., II, p. 191 ; Wilamowitz, o. l., p. 297.
  4. Horn, o. l., p. 61, note ; Kiock, o. l., p. 44.
  5. J. van Ijzeren, o. l., p. 193-194.