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NOTICE

autrement si la convention a eu son rôle dans la formation des noms, comme on vient de le montrer. Socrate demande à Cratyle : « En quoi consiste la vertu des noms ? » Cratyle, qui croit à leur justesse naturelle, est conséquent lorsqu’il répond : « C’est d’instruire ; qui connaît les noms connaît aussi les choses. » Mais il va beaucoup plus loin que n’allait Socrate, car il ajoute : « Il n’est pas d’autre moyen pour instruire ; c’est à la fois le seul et le meilleur. » Le nom ne sert donc pas seulement à transmettre la connaissance des choses ; pour acquérir cette connaissance, il suffit d’étudier le nom.

On a vu les objections décisives que Socrate fait à cette thèse ; elles appellent quelques remarques. Si les restrictions apportées à la justesse naturelle des noms pouvaient justifier une reprise du principe admis sans discussion dans le premier entretien, il est à noter que Socrate n’y fait pas appel pour réfuter les affirmations de Cratyle. En réalité, il complète ici ses conclusions précédentes. En faisant une part à la convention, Socrate modifiait profondément sa propre thèse. Il introduit maintenant de nouvelles réserves, portant sur les conditions mêmes dans lesquelles a travaillé l’auteur des noms. Il avait montré précédemment que les noms peuvent être inexacts, et le « législateur » bon ou mauvais. Revenant à cette idée pour l’approfondir, il observe que l’auteur des noms a pu se faire une idée fausse des choses à nommer. Du coup, il indique la portée de son étude sur les éléments : ses remarques touchant la valeur expressive des sons perdent décidément toute certitude. Nous savions déjà que la partie « étymologique » n’était qu’un jeu : Socrate le confirme, en expliquant que plusieurs des noms rattachés d’abord à l’expression du mouvement semblent plutôt exprimer le repos. Il avait admis avec Hermogène, avant d’examiner les noms qui désignent les choses éternelles, qu’ils ont peut-être été établis par une puissance supérieure à l’homme (397 bc). Plus loin, cette explication était écartée comme un expédient sans valeur (426 ab). Ici elle est définitivement réfutée, par des raisons tirées des contradictions que révèlent les noms. Enfin, Socrate arrive à cette conclusion : puisque les noms sont des guides dangereux, et qu’il est possible sans eux de connaître les choses, mieux vaut demander cette connaissance aux choses elles-mêmes, et partir de la réalité plutôt que des