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CRATYLE

Lui-même, il a pris soin de lever tous les doutes. Arrivé aux noms primitifs, Socrate expose la méthode à employer, et se livre à une critique impitoyable des étymologies précédentes. On pourrait, dit-il, se tirer d’affaire en recourant au deus ex machina, c’est-à-dire en admettant que les noms primitifs sont l’œuvre des dieux, et justes pour cette raison. On pourrait encore leur attribuer une origine barbare, ou alléguer que leur ancienneté en rend l’examen impossible. Mais ce sont là de simples échappatoires, d’ailleurs fort ingénieuses (ἐκδύσεις καὶ μάλα κομψαί pour se dispenser d’explications. Si l’on ignore en quoi consiste la justesse des noms primitifs, il est impossible de reconnaître celle des dérivés ; l’on se condamnera, alors, à ne dire que des sornettes (φλυαρήσει, 426 ab). Or Socrate n’a pas fait autre chose, en discourant sur l’étymologie des noms dérivés sans avoir examiné les noms primitifs. Il en résulte que le développement qui précède, fondé sur les procédés que Socrate raille et condamne, et manquant de la base indispensable, doit être considéré comme un amas de fantaisies sans valeur.


Les noms primitifs. Méthode à suivre.

Il en est tout autrement dans la partie suivante (421 c-425 b). On aborde ici les noms primitifs, qu’il était indispensable d’examiner avant de passer aux dérivés. Ce qui précède ne peut rien apprendre sur l’ὀρθότης τῶν ὀνομάτων, et ne compte pas. La question est donc entièrement à reprendre.

Le changement de ton indique aussitôt que Platon quitte la plaisanterie pour une recherche sérieuse : « Ici, dit Socrate, les excuses ne sont plus recevables ; il faut essayer d’examiner le problème à fond » (421 d). On a vu par l’analyse du dialogue avec quelle précision et quelle rigueur la marche à suivre est indiquée par Socrate (424 cd). Mais la méthode qu’il trace ne vise pas seulement la formation des mots ; elle embrasse l’ensemble du langage. Cette formation n’est que la première étape d’un même processus, qui va des lettres aux syllabes, des syllabes aux noms et aux verbes, et s’étend à tout le discours (425 a). Avec une hauteur de vues, une lucidité et une fermeté admirables, Platon a esquissé ici la première philosophie du langage.