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CRATYLE

l’ensemble avec une intention fort nette de dérision. Il est tout à fait vain, avec Cucuel[1] et surtout Schäublin, de dresser la liste des étymologies « sérieuses », à côté de celles qui sont des moqueries évidentes[2]. Rien ne sert d’objecter que même les plus extravagantes pouvaient être prises au sérieux par l’auteur, ou l’ont été après lui, dans un temps où la science étymologique n’avait pas à sa disposition les moyens dont elle use aujourd’hui : l’attitude de Platon ne permet pas d’hésiter. Peu importe qu’il se rencontre, sur le nombre, des étymologies justes : elles se réduisent d’ailleurs à peu de chose, un peu plus de vingt[3] sur cent douze mots étudiés et cent trente-neuf ou cent quarante étymologies. Et il faudrait prouver que l’auteur du Cratyle les tenait pour exactes.

Non seulement « l’inspiration » d’Euthyphron, alléguée avec tant d’insistance, est là pour nous mettre en garde, mais Socrate se charge à plusieurs reprises de nous ouvrir les yeux. Il déclare, 399 a, qu’il lui est venu des idées ingénieuses, et qu’il risque d’être plus sage que de raison. Après avoir improvisé une explication de ψυχή, il se hâte d’en proposer un autre, moins banale, dont il signale ironiquement le caractère recherché, comme s’il ne s’agissait dans cet examen que de faire montre de bel esprit (400 a et 400 b,

  1. Quid sibi in dialogo cui Cratylus inscribitur proposuerit Plato. Thèse, 1886, Paris, p. 13.
  2. Socrate déclare (406 b) que les noms de Dionysos et d’Aphrodite ont un sens à la fois sérieux et plaisant. Il ne retiendra pour sa part que le second — « les dieux aussi aiment le badinage » — en expliquant Διόνυσος par : ὁ διδοὺς τὸν οἶνον.
  3. Ἕκτωρ, 393 a (ἔχω) ; Ὀρέστης, 394 e (ὄρος) ; Ἀτρεύς, 395 c (ἀ, τρέω) ; Τάνταλος, 395 e (ταλαντεία) ; Δίφιλος, 399 b (Διὶ φίλος) ; ψυχή, 399 e (ἀναπνεῖν, ἀναψυχοῦν) ; Πλούτων, 403 a (πλοῦτος) ; σελήνη, 409 b (σέλας) ; ἀήρ, 410 b (ἀήτης) ; σωφροσύνη), 412 a (σωτηρία τῆς φρονήσεως) ; ἀδικία, 413 d (ἀ, δίκαιον) ; θῆλυ, 414 a (θηλή) ; ἀπορία, 415 c (ἀ, πορεύεσθαι) ; κερδαλέος, 417 a (κέρδος) ; συμφέρον, 417 a (σύν, φέρω) ; λυσιτελοῦν, 417 c (λύειν τέλος) ; ἀλγηδών, 419 c (ἀλγεινός) ; ἁχθηδών, 419 c (ἄχθος) ; τέρψις 419 d (τερπνόν) ; θυμός, 419 e (θύσις) ; βέβαιος, 477 a (βάσις) ; ἐπιστήμη 437 a (ἐπὶ, ἵστημι). Plusieurs de ces « étymologies » ne sont d’ailleurs que des rapprochements avec des mots de la même famille ; d’autres ne sont qu’incomplètement exactes ou se trouvent noyées parmi des étymologies fantaisistes.