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CRATYLE

les uns les autres et se laissent mettre à l’épreuve (347 e-348 a). Nous voilà donc, dès le début, fixés sur la valeur de cette déclaration : « C’est Homère et les autres poètes qu’il faut prendre pour maîtres » (391 cd), et sur la valeur des considérations qui vont suivre[1].

La fantaisie de Socrate s’y révèle aussitôt. Chez Homère, dit-il, le fils d’Hector porte deux noms : Scamandrios et Astyanax. Il est appelé Astyanax par les Troyens[2], d’où l’on peut conclure qu’il était appelé Scamandrios par les Troyennes ; or, les hommes étant plus sages que les femmes, il en résulte que pour Homère Astyanax était le nom juste (392 b-392 d). Le malheur est que l’Iliade[3] dit très clairement : « Cet enfant, Hector l’appelait Scamandrios ; les autres, Astyanax. » De ces vers que Platon n’ignorait évidemment pas, il serait naturel d’induire que le nom juste était Scamandrios, donné par le père de l’enfant. Ils excluent en tout cas l’hypothèse, toute gratuite d’ailleurs, que Scamandrios était le nom employé par les femmes.

La prétendue loi que Socrate croit tirer d’Homère n’a pas beaucoup plus de consistance. Astyanax et Hector, le nom du fils et celui du père, ont à peu près le même sens. C’est qu’il est naturel de donner à l’enfant le nom de son père, et d’appeler lion le petit d’un lion (393 ab). En quoi ce principe peut-il rendre compte de la justesse du nom ? Il n’explique point l’appellation donnée au père. Un instant après, Platon a soin d’avertir le lecteur que les propos qui vont suivre ne doivent pas être pris au sérieux : « Surveille-moi bien, dit Socrate à Hermogène, de peur que je ne t’induise en erreur ! » (393 c). Et en effet, que dit-il ? En cas de filiation naturelle, l’enfant doit porter le nom du père ; mais il doit être appelé d’après le genre auquel il appartient, si la filiation se fait contre nature (393 c-394 d). Mais ce nouveau principe ruine le précédent, car il en résulte que la seule dénomination juste dans tous les cas est celle qui se fonde sur le genre, non sur le nom du père.

À l’appui de ses conclusions, Socrate passe en revue les noms des Pélopides, et donne de chacun d’eux une expli-

  1. F. Horn, o. l., p. 31 ; A. Kiock, o. l., id.
  2. Iliade, XXII, 506.
  3. VI, 402-3.