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CRATYLE

même inscris-moi comme un de tes disciples en ce qui concerne la justesse des noms.

Cratyle. — Il est vrai, Socrate, comme tu le dis, que je m’en suis occupé, et peut-être te prendrai-je pour disciple. Je crains pourtant qu’il m’arrive tout le contraire, c car il me vient je ne sais quelle envie de t’adresser la réponse d’Achille, celle qu’il fait à Ajax dans les Prières[1]. Il dit :

Divin Ajax, fils de Télamon, chef d’armée,
Tout ton discours me semble être selon mon cœur.

Moi aussi, Socrate, je trouve tes oracles tout à fait à mon gré, que tu doives ton inspiration à Euthyphron, ou que depuis longtemps quelque autre Muse t’habitât à ton insu.


Reprise de la question.

Socrate. — Mon bon d Cratyle, voici longtemps que je m’étonne moi-même de ma propre sagesse, et que je n’y puis croire. Il me paraît donc nécessaire de soumettre ce que je dis à un nouvel examen. Car s’abuser soi-même est un sort fâcheux entre tous : quand le personnage prêt à vous tromper ne s’éloigne pas un instant, et se tient toujours à vos côtés, n’est-ce pas une situation terrible ? Il faut donc, je crois, se retourner fréquemment vers les propos déjà tenus et s’efforcer, selon le mot du poète, de regarder « à la fois en avant et en arrière »[2]. C’est le cas en ce moment : voyons ce que nous avons déjà dit. La justesse d’un nom, e suivant nous, consiste à faire voir la nature de la chose. Trouvons-nous cette définition suffisante ?

Cratyle. — À mon avis, elle l’est parfaitement, Socrate.

Socrate. — Ainsi, c’est pour instruire que sont faits les noms ?

Cratyle. — Absolument.

Socrate. — Devons-nous affirmer que c’est là un art et qu’il a ses artisans ?

  1. Iliade, IX, 644-5. Pour ce titre, cf. Hippias mineur, 364 e. La division actuelle de l’Iliade et de l’Odyssée en vingt-quatre chants ne semble pas antérieure à l’époque alexandrine. Platon et Aristote désignent les diverses parties des poèmes homériques par le nom des épisodes qu’elles renferment, la Colère (ou la Querelle), les Serments, etc.
  2. Iliade, I, 343 : « Son esprit, dit Achille d’Agamemnon, ne sait