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CRATYLE

Socrate. — Mes impressions personnelles sur les noms primitifs me semblent être au plus haut point téméraires et risibles. Je t’en ferai part, si tu veux ; mais si tu peux tirer de quelque endroit une explication meilleure, tâche à ton tour de m’en faire part.

Hermogène. — Je n’y manquerai pas. Parle donc hardiment.


Valeur des divers éléments.

Socrate. — Eh bien, pour commencer, le r m’a l’air d’être c comme l’instrument propre à rendre toutes les sortes de mouvement. Nous n’avons pas même dit pourquoi le mouvement (kinêsis) porte ce nom ; mais il est clair qu’il veut dire l’action d’aller (iésis) : car ce n’est pas ê, mais é que nous employions jadis[1]. Le début vient de kiéïn, mot étranger[2] qui signifie aller (iénaï). Si donc on voulait trouver son ancien nom en accord avec notre langue, iésis serait le mot juste ; aujourd’hui on en a fait kinêsis, avec le mot étranger kiêïn, le changement en ê et l’insertion du n [mais c’est kiéïnêsis qu’il fallait dire d ou éïsis]. Stasis (repos) veut exprimer la négation du mouvement, mais pour l’enjoliver on en a fait stasis[3]. Quoi qu’il en soit, revenons à la lettre r. Je le répète, c’est un instrument fort propre à rendre le mouvement que l’auteur des noms a cru y trouver pour leur faire reproduire la mobilité. En tout cas, il s’en est mainte fois servi pour la rendre : d’abord, dans le mot même de rhéïn (couler) et dans celui de rhoê (courant), c’est au moyen de cette lettre qu’il imite la mobilité ; ensuite dans tromos (tremblement), puis dans trakhus[4] (raboteux) ; en outre, e dans des verbes tels que krouéïn (heurter), thrauéïn (broyer), éreïkéïn (déchirer), thruptéïn (briser), kermatizéïn (déchiqueter), rhumbéïn[5] (faire tournoyer). Tous ces mots-là, en général, il les rend expressifs au moyen du r : il voyait,

    doit venir de l’action elle-même, et ne pas être amené par une machine comme dans Médée ».

  1. Dans l’ancien alphabet attique, qui employait l’Η pour marquer l’aspiration, l’Ε servait à désigner en outre l’η et la fausse diphtongue ει.
  2. Le mot κίειν est, en effet, exclusivement épique.
  3. Socrate veut dire que la vraie forme serait ἀ-ίεσις.
  4. Pour τραχύς, voir l’apparat critique.
  5. Le mot ῥυμβεῖν (cf. ῥυμβός, toupie) est un hapax eiréménon.