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CRATYLE

Hermogène. — Il en a tout à fait l’air, Socrate.

Socrate. — Mais pas si tu prends l’ancien nom, qui apparemment était beaucoup plus juste que le nom 419 actuel : il s’accordera avec les biens déjà mentionnés[1], si tu remplaces l’é par l’i comme autrefois ; car dion[2] (parcourant), et non déon (enchaînant), désigne à son tour le bien, qui est traité avec éloge. Et ainsi l’auteur des noms n’est pas en contradiction avec lui-même : obligatoire, utile, profitable, lucratif, bon, avantageux, facile semblent être la même chose ; sous des noms différents ils signifient que ce qui ordonne et qui va est célébré en tous lieux ; ce qui arrête et enchaîne, blâmé au contraire. b Voici notamment dommageable (zêmiôdés) ; remplace, suivant l’ancienne prononciation[3], le z par un d, et le nom te paraîtra s’appliquer à ce qui entrave la marche (doun to ion) sous l’appellation de dêmiôdés.

Hermogène. — Et plaisir, douleur, désir, et les noms du même genre, Socrate ?

Socrate. — Ils ne me paraissent pas très difficiles, Hermogène. Pour hêdonê (plaisir), c’est la tendance à la jouissance (hê onêsis) qui semble porter ce nom, mais le d y a été inséré, si bien qu’on dit hêdonê au lieu de hêonê ; lupê (douleur) paraît avoir tiré son nom c de la dissolution (dialusis) physique que le corps éprouve en cet état. Ania (chagrin) est ce qui empêche le mouvement (an — iénaï). Algêdôn (peine) m’a l’air d’un nom étranger[4], tiré de algéïnos (pénible). Odunê (souffrance) doit son appellation, semble-t-il, à la pénétration (endusis) de la tristesse. Quant à akhthêdôn (affliction), le premier venu verra figurée dans ce nom la pesanteur qui alourdit le mouvement. Khara (joie) semble ainsi appelée d’après l’effusion (diakhusis) et la facilité du cours (rhoê) de l’âme[5]. Terpsis (agrément) vient d de terpnon. Et terpnon

  1. Qui tous marquaient le mouvement.
  2. Διόν, c’est-à-dire διιόν.
  3. Voir plus haut, 418 bc.
  4. C’est-à-dire, suivant une façon de parler déjà vue, étranger à l’attique. Ἀλγήδων paraît être en effet un mot ionien et poétique, bien que Platon l’emploie lui-même en plusieurs endroits.
  5. L’étymologie est particulièrement contournée. Socrate rattache la première partie du mot à χέω (verser, répandre), et la deuxième à ῥοή. Les anciens estimaient que l’âme est détendue par la joie, tandis qu’elle est contractée par la tristesse.