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on modifie son nom, en préférant l’euphonie à la vérité, pour en faire Pherréphatta. De même aussi pour Apollon ; e je le répète, beaucoup redoutent le nom de ce dieu, comme s’il avait une signification terrible[1]. Ne t’en es-tu pas aperçu ?

Hermogène. — Parfaitement, et tu dis vrai.

Socrate. — En fait, il est, à mon avis, très heureusement approprié à la fonction du dieu.

Hermogène. — Comment cela ?

Socrate. — Je vais essayer de dire ce que j’en pense. Il n’est pas 405 de nom qui, à lui seul, aurait pu mieux s’ajuster aux quatre attributions qui sont celles du dieu ; il touche à toutes, et les fait voir, pour ainsi dire : musique, divination, médecine[2] et science de l’arc.

Hermogène. — Explique-toi : voilà un nom bien étrange, à t’en croire !

Socrate. — Dis plutôt : plein d’harmonie, comme il sied à un dieu musicien. Tout d’abord, la purification et les procédés purificatoires, soit de la médecine soit de la divination, les fumigations de soufre au moyen des drogues médicinales et divinatoires, b les bains employés dans les opérations de ce genre, et les aspersions d’eau lustrale, — toutes ces pratiques semblent avoir un seul et même pouvoir, celui de purifier l’homme dans son corps et dans son âme ; n’est-il pas vrai ?

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — Ainsi ce dieu sera celui qui purifie, et celui qui lave et délivre des maux de ce genre ?

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — D’après les délivrances et les purifications qu’il opère, considéré comme guérisseur des maux de ce genre, c il serait donc justement nommé Apolouôn (qui lave). D’après son art divinatoire, sa vérité et sa sincérité (haploun)

    la mort violente. Dans l’Iliade, notamment, la déesse participe au caractère redoutable d’Hadès son époux.

  1. En le rattachant à ἀπολλύναι (détruire). Ainsi fait Cassandre dans Eschyle, Agamemnon, 1080-1082 : « Apollon, Apollon, dieu des routes ! Apollon qui me perds (ἀπόλλων ἐμός) ! Tu m’as perdu (ἀπώλεσας) sans peine une seconde fois. »
  2. Si Apollon est le dieu redoutable qui extermine par ses traits, il est aussi le dieu Ἀλεξίκακος. Il a pour fils Asclépios ; lui-même il est le Guérisseur (Païôn), que l’on invoque dans le péan.