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CRATYLE

Hermogène. — Sans comparaison, Socrate, c’est le désir.

Socrate. — Ne crois-tu donc pas que bien des gens échapperaient à Hadès, s’il ne liait par le lien le plus fort ceux qui s’en vont dans l’autre monde ?

Hermogène. — Évidemment.

Socrate. — C’est donc, semble-t-il, par quelque désir qu’il les enchaîne — s’il est vrai qu’il les enchaîne par le lien le plus puissant —, et non par la nécessité.

Hermogène. — Apparemment.

Socrate. — D’autre part, il existe bien des désirs ?

Hermogène. — Oui.

Socrate. — d C’est donc par le plus puissant des désirs qu’il les enchaîne, si c’est par le lien le plus puissant qu’il doit les maintenir.

Hermogène. — Oui.

Socrate. — Or est-il de plus grand désir que celui de vivre dans la société d’un être par lequel on espère devenir meilleur ?

Hermogène. — Non, par Zeus ! Socrate, en aucune façon.

Socrate. — Pour ces raisons, Hermogène, affirmons donc que nul ne veut quitter l’autre monde pour revenir ici-bas, pas même les Sirènes[1] en personne, mais qu’un charme les retient enchaînées, elles et tous e les autres ; tant sont beaux, semble-t-il, les discours que sait tenir Hadès ! D’après notre thèse, ce dieu est un sophiste accompli, et grand bienfaiteur de ceux qui sont à ses côtés, lui qui, même aux habitants d’ici-bas envoie des biens si nombreux, tant il a là-bas de richesses en réserve ! C’est ce qui lui a valu le nom de Pluton. Que, d’autre part, il refuse de vivre dans la société des hommes, tant qu’ils ont leur corps, et qu’il ne se mêle à eux que quand leur âme est purifiée de tous les 404 maux et désirs corporels, n’est-ce pas à ton avis le fait d’un philosophe, et qui a bien su comprendre que le moyen de retenir les hommes est de les enchaîner par le désir de la vertu, tandis que, quand ils sont en proie aux transports et à la folie du corps, Kronos

  1. Proclus, in Cratylum, 167 : Platon distingue trois sortes de Sirènes : les Sirènes célestes, celles qui aident à la génération, celles qui purifient, placées sous le pouvoir d’Hadès. Elles sont souvent mises en rapport avec le monde infernal ; elles figurent dans certaines versions de la légende de Perséphone ; Hélène, dans