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CRATYLE

Hermogène. — Les génies.

Socrate. — e À vrai dire, Hermogène, que peut bien signifier le nom de génies ? Vois si tu trouves que j’ai raison.

Hermogène. — Tu n’as qu’à parler.

Socrate. — Sais-tu qui sont les génies d’après Hésiode ?

Hermogène. — Je ne vois pas.

Socrate. — Ne sais-tu pas non plus qu’elle fut d’or, suivant lui[1], la première race d’hommes ?

Hermogène. — Oui, cela je le sais.

Socrate. — Eh bien, il dit d’elle :

Depuis que le sort a recouvert cette race,
398 On les appelle les saints génies de la terre ;
Bons, secourables, ils sont les gardiens des mortels[2].

Hermogène. — Et après ?

Socrate. — Mon opinion est que, par « race d’or », il entend non pas « née de l’or », mais « bonne et belle ». Et la preuve, pour moi, c’est qu’il nous appelle nous-mêmes « race de fer[3] ».

Hermogène. — Tu dis vrai.

Socrate. — Et parmi les hommes d’aujourd’hui, crois-tu, s’il en est un bon, qu’il b le rattacherait à cette race d’or ?

Hermogène. — C’est probable.

Socrate. — Mais les bons ne sont-ils pas sensés ?

Hermogène. — Oui.

Socrate. — Voici donc essentiellement ce qu’il entend, à mon avis, par les génies (daïmones) : c’est parce qu’ils étaient sensés et savants (daêmones) qu’il les a nommés daïmones. Et anciennement dans notre langue, ce nom lui-même se

  1. Dans le mythe des cinq races, Hésiode nomme d’abord la race d’or, celle des hommes qui vivaient au temps de Kronos, « sans souci, à l’abri des peines et des misères », et qui, sans travail, recueillaient tous les fruits de la terre (Travaux, V, 109-126).
  2. Les trois vers cités par Socrate se lisent dans les Travaux (121-123). Le texte d’Hésiode donne γαῖ’ au lieu de μοῖρ’, et au vers suivant : τοὶ μὲν δαίμονές εἰσι Διὸς μεγάλου διὰ βουλάς.
  3. La cinquième et dernière race, dont les misères arrachent à Hésiode le souhait désespéré d’être mort plus tôt ou né plus tard. Les hommes de cette race ne sont pas seulement consumés par les fatigues et les soucis, mais un temps viendra où ne règneront parmi eux que la dureté, la perfidie et le crime (Trav., v. 174-201).