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ION

celui-ci est la science de tels objets, et celui-là de tels autres, que je donne aux arts des noms différents. Fais-tu de même ?

Ion. — e Oui.

Socrate. — Car, n’est-ce pas ? si c’était une science des mêmes objets, pourquoi distinguerions-nous un art de l’autre, du moment qu’on pourrait également savoir les mêmes choses par les deux ? Ainsi, moi, je connais qu’il y a là cinq doigts, et toi, tu fais là-dessus la même constatation. Et si je te demandais : est-ce par le même art, l’arithmétique, que nous connaissons, toi et moi, les mêmes choses, ou par un autre ? tu dirais évidemment : par le même art.

Ion. — Oui.

Socrate. — Réponds donc maintenant 538 à la question que j’allais te poser tout à l’heure[1]. Dans tous les arts, crois-tu qu’il en soit ainsi, que le même art nous fasse nécessairement connaître les mêmes choses ; l’autre, non pas les mêmes, mais, puisqu’il est différent, nécessairement aussi d’autres choses ?

Ion. — C’est mon avis, Socrate.

Socrate. — Donc, celui qui ne possède pas un art ne sera pas en état de bien juger de ce qui appartient à cet art, paroles ou actes ?

Ion. — Tu as raison.

Socrate. — b Dans les vers que tu as récités, est-ce toi ou un cocher qui jugera le mieux si Homère parle bien ou non ?

Ion. — Un cocher.

Socrate. — C’est, n’est-ce pas ? que tu es rhapsode et non cocher.

Ion. — Oui.

Socrate. — Et l’art du rhapsode diffère de l’art du cocher ?

Ion. — Oui.

Socrate. — Si donc il en diffère, il est aussi la science d’objets différents.

Ion. — Oui.

  1. Socrate revient à la question posée 537 d. Dans l’intervalle il a fait accepter à Ion cette idée que les sciences sont indépendantes l’une de l’autre.