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EUTHYDÈME

inférieurs à l’autre ; c’est dans le cas où elles seraient un mal toutes les deux qu’ils pourraient avoir raison[1] : autrement, c’est chose impossible. Or, ils n’admettraient point, j’imagine, c que l’une et l’autre fussent des maux, ni que l’une fût un mal, et l’autre un bien. Ils sont donc en fait, puisqu’ils tiennent de l’une et de l’autre, inférieurs à l’une et l’autre, pour chacune des fins où la politique et la philosophie montrent leur valeur. Placés dans la réalité au troisième rang, ils cherchent à occuper le premier dans l’opinion. Pardonnons-leur cette ambition, et, sans nous fâcher, prenons-les pour ce qu’ils sont : il faut faire bon accueil à quiconque montre dans ses propos la moindre d parcelle de raison, et pousse sa pointe avec une vaillance opiniâtre.


Embarras de Criton ; conseils de Socrate.

Criton. — Ma foi, Socrate, je suis moi-même, comme je ne cesse de te le dire, fort embarrassé pour mes fils[2]. Que faire d’eux ? L’un est encore bien jeune et petit ; mais Critobule a déjà l’âge, et il lui faut quelqu’un capable de lui être utile. Pour ma part, quand je suis avec toi, mes dispositions sont telles que je considère comme une folie d’avoir pris tant d’autres soins à cause de mes enfants — dans e mon mariage, pour leur donner une mère de la plus noble famille, comme dans ma fortune, pour leur assurer la plus grande richesse possible — et de négliger leur éducation. Mais, quand je jette les yeux sur un des soi-disant éducateurs, je reste confondu, et chacun d’eux, à l’examen, me semble complètement extravagant, pour te 307 dire la vérité. Bref, je ne vois pas comment pousser ce garçon à l’étude de la philosophie.

Socrate. — Ignores-tu, mon cher Criton, qu’en toute sorte d’occupation les gens médiocres et sans valeur sont le nombre, et les esprits sérieux, dignes de toute estime, la minorité ? Car enfin la gymnastique ne te paraît-elle pas être une belle chose, de même l’art des affaires, la rhétorique et la conduite des armées ?

  1. Si la philosophie et la politique sont mauvaises, celui qui ne prend qu’un peu de l’une et de l’autre est supérieur à celui qui se livre entièrement à l’une ou à l’autre.
  2. Diogène de Laërte (II, 13) attribue à Criton quatre fils : Critobule, Hermogène, Épigène, Ctésippe. Platon n’en mentionne ici que deux.