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ION

on ne saurait s’en étonner. Mais n’y reconnaît-on pas encore, sous une forme un peu appuyée, l’ironie habituelle à Socrate[1] ? La fin du dialogue est un délicieux persiflage où tout porte la marque de Platon. Il n’est pas juste de taxer d’incohérence et de grossièreté l’attitude de Socrate demandant à Ion un exemple de son savoir-faire, puis refusant de l’entendre, et pour finir, lui reprochant de n’avoir pas voulu montrer ses talents[2]. Avant d’écouter le rhapsode, Socrate a voulu savoir si ses commentaires ont une valeur scientifique et sur quels objets porte sa prétendue τέχνη. De la discussion il résulte qu’Ion est incapable de répondre, parce que la τέχνη dont il se pare lui fait défaut : il ne possède aucune compétence spéciale. Socrate n’a donc pas tort de conclure qu’il lui a fait une promesse de hâbleur. Qu’il entre d’ailleurs une part de sophisme[3] dans les raisonnements et les conclusions de Socrate, on peut l’accorder. Il est permis notamment de protester, avec Goethe et Wilamowitz[4], contre une théorie qui dans la définition de l’œuvre poétique ne tient pas compte de la forme, et qui reconnaît aux seuls gens de métier : cochers, pêcheurs, médecins, etc., le pouvoir et le droit de juger si Homère parle bien ou mal des τέχναι qu’ils représentent[5]. Mais il y a parfois du sophiste chez Platon[6], et d’autres dialogues, d’une portée bien supérieure à l’Ion, nous laissent une impression analogue.

Pour ce qui est de la conduite de l’ouvrage, nous croyons avoir montré que le reproche d’incohérence est peu justifié. Les deux démonstrations de Socrate sont inséparables l’une de l’autre : elles se pénètrent et se ramènent à l’unité[7]. Dans la première partie, l’exemple de la divination objecté au

  1. Est-il légitime de soutenir avec Wilamowitz (p. 45) que Socrate est ici tout différent de ce qu’il apparaît ailleurs, notamment dans l’Apologie ? Il faut, au reste, tenir compte des conditions particulières de chaque dialogue et des différences de ton qui en résultent.
  2. Schleiermacher, o. l., p. 309, 312.
  3. Wilamowitz y insiste, non sans excès, p. 44-45.
  4. O. l., p. 44-45.
  5. Cf. Rép., 598 c.
  6. G. Colin, o. l., p. 31.
  7. Ainsi s’explique à la fin du dialogue, dans la conclusion qui le résume, le rappel de la θεία μοῖρα définie par Socrate dans la première partie.