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EUTHYDÈME

l’heure[1] que nul ne parle d’une chose comme elle n’est pas ; ce qui n’existe point, personne ne le dit, nous l’avons vu. — Qu’importe ? répondit Ctésippe ; ne nous contredisons-nous pas moins, toi et moi ? — Nous contredirions-nous, reprit l’autre, en parlant tous deux du même objet ? N’est-il pas vrai qu’ainsi nous dirions les mêmes choses ? » Il l’accorda. « Mais quand nous ne parlons ni l’un ni l’autre de cet objet, pourrions-nous alors b nous contredire ? N’est-il pas vrai qu’en ce cas aucun de nous ne ferait même la moindre mention de l’objet ? » Il en convint encore. « Mais quand je parle, moi, de cet objet, et que tu tiens, toi, d’autres propos sur un autre, serait-ce alors que nous nous contredisons ? N’est-il pas vrai que, moi, je parle de l’objet, alors que, toi, tu n’en dis absolument rien ? or, sans parler, comment contredire celui qui parle ? »


Discussion de Socrate et Ctésippe avec les sophistes.

Là-dessus, Ctésippe se tut ; mais moi, surpris de ce discours : « Que veux-tu dire, Dionysodore ? demandai-je. Voilà c en effet une thèse que j’ai déjà entendue de bien des gens et bien des fois, et toujours avec surprise. L’école de Protagoras en faisait grand usage, et de plus anciens encore[2] ; pour moi, je la trouve toujours surprenante ; elle me paraît à la fois ruiner les autres et se ruiner elle-même. Mais tu m’en apprendras, je pense, la vérité mieux que personne. Parler faux est impossible, n’est-ce pas ? — c’est là le sens de ta proposition, n’est-il pas vrai ? — et il faut nécessairement ou bien dire vrai, si l’on parle, ou ne pas parler ? »

Il l’accorda.

« Si d parler faux est impossible, est-il pourtant possible de penser faux ? »

« Pas davantage, dit-il.

« Alors, dis-je, il n’existe absolument pas non plus d’opinion fausse.

  1. Allusion à 284 c : « Personne ne dit ce qui n’est pas ».
  2. Protagoras disait : « L’homme est la mesure de toutes choses. » Il en résultait que toute opinion individuelle est également vraie et fausse, selon le point de vue où l’on se place, ce qui rend la contradiction impossible (Théétète, 151 e-152 c ; 171 c). — « De plus anciens encore » semble viser Parménide. Il soutenait que, le non-être n’existant pas, le faux ne peut exister davantage, puisque par définition il donnerait l’être à ce qui n’en a pas (voir le Sophiste).