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NOTICE

d’état de comprendre les belles choses qui sortent de sa bouche, il est incapable de juger ceux qui parlent des matières mêmes dont il s’occupe[1].

Même si Platon doit être pris au sérieux quand il attribue au poète une inspiration divine, il n’est pas sûr qu’il faille voir autre chose qu’une concession de politesse, et au fond une pure ironie, dans l’application qu’il en fait au rhapsode. Admettons qu’il lui reconnaisse, au moins dans une certaine mesure, la θεία μοῖρα, lorsqu’il est le porte-parole du poète dont il récite les vers. Mais cette inspiration s’étend-elle aux commentaires d’Ion sur Homère[2] ?

Quoi qu’il en soit, ce sont bien les poètes que vise à travers le rhapsode l’auteur du dialogue. La théorie de l’inspiration divine qui, par une chaîne ininterrompue, va de la Muse aux auditeurs, lui permet de remonter par le rhapsode jusqu’au poète. L’Ion prend place à côté des ouvrages où Platon passe en revue, l’un après l’autre, quelques-uns de ceux que juge sommairement l’Apologie : les hommes d’État dans le premier Alcibiade, les devins dans l’Euthyphron. Dans l’Ion, c’est le tour des poètes. Mais le philosophe n’a pas voulu s’en prendre directement à eux. Il s’est servi d’un détour, et c’est un simple rhapsode qu’il a mis en scène[3].


L’authenticité du dialogue.

Cependant l’authenticité de l’Ion a été souvent contestée chez les modernes. Au iiie siècle après J.-C. elle ne faisait pas de doute pour Athénée[4] : il reproche à Platon d’y « insulter tous les poètes », jugement sommaire et excessif sans doute, mais qui paraît attester que l’auteur ne s’est pas mépris sur le véritable objet de l’ouvrage. Mais au xixe siècle, la critique s’est montrée plus défiante. Goethe[5] a manifesté sa surprise de trouver dans l’Ion un Platon et un Socrate si peu conformes à l’idée qu’on peut prendre d’eux dans les autres dialogues. Il estimait d’ailleurs, par une vue assez surprenante, que le traité n’a rien à faire avec la poésie.

  1. Cf. Rép., 601 c sq.
  2. Wilamowitz, o. l., p. 45.
  3. H. Raeder, op. laud., p. 91.
  4. Banquet des sophistes, XI, 114.
  5. Voir Wilamowitz, op. laud., p. 32.