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NOTICE

début, la discussion est résumée à la fin, de la façon la plus nette, par une conclusion qui s’adresse à Ion et paraît ne viser que lui.

En réalité, la critique du rhapsode tombe aussi sur les poètes dont il est l’interprète, et les conclusions formulées par Socrate les atteignent également. On n’en saurait douter pour la première démonstration : de même qu’Ion ne sait bien parler que sur Homère, le poète — Socrate le déclare expressément — ne peut exceller que dans un seul genre (534 c)[1]. Quant à la seconde, son application aux poètes n’est que suggérée, mais ce que Socrate enlève à Ion, ne le refuse-t-il pas du même coup à Homère ? Si parmi les arts auxquels touche la poésie homérique, il n’en est point qui appartienne en propre au rhapsode, la même conclusion vaut aussi pour le poète : toute l’argumentation de Socrate (539 d-540 c) lui est exactement applicable.

On est donc conduit à se demander si en réalité la discussion, tout en ayant l’air de porter essentiellement sur le rhapsode et ses commentaires, ne vise pas surtout la poésie[2]. Ce soupçon se confirme quand on observe que le débat se développe autour d’un morceau central qui est évidemment la pièce capitale de l’ouvrage. La forme dialoguée y fait place à deux longs discours de Socrate (533 c-535 a ; 535 e-536 d). Le changement de procédé, cet exposé didactique, l’espèce de solennité avec laquelle est introduit le premier discours, l’élévation soudaine du ton, tout montre qu’il faut chercher ici la véritable pensée de l’auteur et la clef de son dessein.

Dans le reste de l’ouvrage la discussion n’aboutit qu’à des conclusions négatives. Mais elles ne peuvent suffire. Si ce n’est pas un art, une τέχνη, qui dicte au rhapsode tant de belles choses sur Homère, alors qu’il ne trouve rien à dire sur les autres poètes, qu’est-ce donc qui le fait parler ? Socrate va le révéler. Le rhapsode, interprète du poète, est un anneau de la chaîne qui part de la Muse pour aboutir aux auditeurs et qui est parcourue par l’inspiration divine. C’est cette inspiration qui anime le rhapsode ; il la tient du poète, directement rattaché à la Muse, et la communique lui-même à ceux

  1. Schleiermacher, o. l., p. 311 ; Stallbaum, Prolegomena ad Ionem, 1857, p. 338.
  2. Déjà vu par Schleiermacher, o. l., p. 181.