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sodes formaient une classe assez inférieure, sans contact avec l’élite de la population, et incapable en conséquence d’exercer une influence sensible sur la partie de la jeunesse à laquelle s’intéresse Platon. Peut-être répondra-t-on que les poèmes homériques tenaient dans l’éducation une place des plus importantes et que leur interprète, dont les récitations soulevaient d’enthousiasme, aux grandes fêtes, la cité tout entière, pouvait être écouté, quand il parlait d’Homère, avec une déférence attentive. Mais en fait nous voyons par les Mémorables[1] que les rhapsodes étaient considérés comme des sots, et l’attitude prêtée à Ion par l’auteur du dialogue s’accorde assez avec ce jugement sévère. Ce rhapsode d’Éphèse, vainqueur aux fêtes d’Épidaure et qui s’apprête à concourir aux Panathénées, est abordé par Socrate comme un personnage bien connu des Athéniens. Il peut avoir joui auprès d’eux d’une grande renommée[2], mais par sa virtuosité d’acteur, non par ses talents d’exégète.

Quand on examine de près le dialogue, on croit apercevoir la solution du problème. En apparence, l’objet du débat est de savoir si les commentaires du rhapsode sont dirigés par une τέχνη. L’argumentation de Socrate a pour effet de prouver qu’Ion, commentateur d’Homère n’est pas, quoi qu’il en pense, en possession d’un art. Elle comprend deux parties. La première se fonde sur cet aveu d’Ion que son habileté ne concerne qu’Homère. Or Homère traite en général les mêmes sujets que les autres poètes. Qu’il le fasse mieux, c’est possible ; mais la possession d’un art permet de parler avec une égale compétence de tous ceux qui, plus ou moins bien, le pratiquent. Si donc Ion ne sait parler que d’Homère, c’est qu’il ne possède pas de τέχνη (531 a-533 c). Devant la résistance du rhapsode, Socrate entreprend une seconde démonstration. La poésie homérique touche à toutes sortes d’arts : ceux du cocher, du médecin, du pêcheur, du devin. Chacun a son domaine propre, où la compétence appartient au spécialiste. Quel domaine assigner à l’art du rhapsode ? Il n’y en a pas : il n’existe pas de ῥαψῳδικὴ τέχνη. Cette deuxième conclusion confirme et complète la première. Annoncée presque dès le

  1. IV, 2, 10 πάνυ ἠλιθίους. Cf. Banquet, 3, 6.
  2. Wilamowitz, o. l., p. 42.