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PHÈDRE

tenant nous considérons la part que prennent les âmes à cette procession, nous voyons qu’elle est différente selon la constitution de ces âmes. Pour les âmes des dieux, point de difficulté : elles montent allègrement, car la tâche du cocher est facile avec un attelage de tout point excellent, elles montent vers ces objets supérieurs qui, comme on l’a vu, sont l’aliment de leurs ailes. Mais il y a pour les suivre d’autres âmes qui sont divines en leur genre et qui ont faim de cette suprême nourriture. Sans doute leur attelage n’est-il pas excellent ; il est toutefois excellemment apparié ou excellemment dressé et dirigé. Elles suivent donc les dieux, c’est-à-dire qu’en les imitant elles leur ressemblent, aussi souvent qu’elles n’en sont point empêchées par quelque cause, étrangère en tout cas à la volonté des dieux[1], et aussi souvent qu’elles en ont la bonne volonté. De telles âmes doivent donc parvenir, avec les âmes des dieux, jusqu’aux confins du ciel ou du monde et, dressées alors sur la voûte, emportées par la révolution circulaire, elles contemplent les réalités qui sont en dehors du ciel ou du monde. Ce sont là pourtant des âmes privilégiées : la plupart sont au contraire incapables d’étendre ainsi leur horizon parce qu’au bon leur attelage mêle trop de mauvais et parce que leur cocher, faute d’avoir su corriger et dresser le mauvais, sent peser sur sa main le poids d’une résistance.

b. Voici donc les meilleures âmes portées par la bonté même de leurs aspirations au seuil d’un autre monde, extérieur à l’univers physique. Qu’on dise tant qu’on voudra que nous sommes ici en plein mythe. Il n’en est pas moins vrai, si

  1. L’Envie, ce démon qui, selon la tradition, jalouse le bonheur des hommes, est exclue par Platon des chœurs divins, comme dans le Banquet (203 b) Pauvreté a été tenue à l’écart du festin par lequel les dieux célébraient la naissance d’Aphrodite. Ici l’exclusion de l’Envie est l’expression mythologique d’une double intention : d’abord purifier la notion du dieu de cette jalousie méchante qui en était inséparable dans la croyance populaire ; puis dégager la responsabilité des dieux par rapport à des malheurs qui ne sont la conséquence que de notre propre méchanceté. Cette dernière idée serait donc la même que dans la République (II 379 bc, X 617 e) ou dans le Timée (41 e, 42 d ; cf. 29 e) : Dieu est innocent de la méchanceté des hommes parce que, d’une façon générale, le bien seul, non le mal, lui est imputable (cf. aussi Politique 269 e sq., 373 bc).