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NOTICE

On s’étonne donc que les critiques anciens soient pour la plupart restés insensibles à une réussite aussi merveilleuse. La façon dont Aristote dans sa Rhétorique (III 7 fin) justifie par son caractère ironique l’emploi, dans certaines parties du Phèdre, du style de la poésie paraît indiquer que l’exemple du Phèdre était celui qu’on alléguait pour condamner un tel emploi. De fait, par Diogène Laërce (III 38) nous savons que Dicéarque, le disciple d’Aristote, était très sévère pour notre dialogue, y incriminant la vulgarité ou, tout au moins, l’enflure du style. Ce n’est donc pas, semble-t-il, sans motif que Denys d’Halicarnasse parle du grand nombre de ceux qui, avant lui, ont fait le procès du Phèdre, et sans doute n’était-il pas le premier à dire que l’élévation factice du style y dégénérait en un jargon emphatique et obscur, d’une affectation poétique insupportable (De Demosthene 5-7). On voyait là autant d’indices d’inexpérience et, par conséquent, de « juvénilité » ; ce dernier caractère est celui que notent pareillement Diogène Laërce (ibid.) et Hermias. Ce dernier, dans le Préambule de son commentaire (9, 11-19) distingue trois points sur lesquels on fondait ce reproche : l’ambition de virtuosité qui, à un réquisitoire contre l’amour, fait joindre un plaidoyer en sa faveur ; la malignité chicanière que manifeste la critique du discours de Lysias ; le manque de goût, la boursouflure, l’emphase, l’abus du style poétique. Peut-être la réfutation de ces griefs par Hermias est-elle un peu trop inspirée de l’esprit étroitement conventionnel dont ils procèdent. Elle atteste du moins l’existence, dont l’auteur du Traité du Sublime porte aussi témoignage, d’un courant opposé, néoplatonicien sans nul doute, et où la considération des idées prévalait peut-être sur celle du style. Quoi qu’il en soit, le seul fait que la composition littéraire du Phèdre ait été critiquée dans l’Antiquité suffit à justifier l’effort qu’on a consacré à l’expliquer ainsi qu’à analyser le sentiment que nous éprouvons à le lire : celui d’être en face d’un art à la fois très savant et prodigieusement aisé, pleinement maître enfin de toutes ses ressources.