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PHÈDRE

m’adressais ? Il faut que ceci, il l’entende aussi. S’il ne l’entendait pas, peut-être bien prendrait-il les devants et donnerait-il ses faveurs à l’homme qui n’aime pas…

Phèdre. — Il est là contre toi, tout près, toujours à tes côtés et tant que tu voudras !

Second discours de Socrate. — Éloge de l’amour.

Socrate. — « Eh bien ! voici, mon beau gars, ce que tu dois bien te mettre à l’esprit : c’est que le précédent 244 discours était de Phèdre, fils de Pythoclès et bourgeois de Myrrhinonte, tandis que celui que je vais dire est de Stésichore, fils d’Euphème et natif d’Himère. Voici maintenant comment doit s’exprimer son discours : il n’y a pas de vérité dans un langage qui, la présence d’un amoureux étant admise, prétendra que c’est à celui qui n’aime pas qu’on doit de préférence accorder ses faveurs, et cela pour ce motif que le premier est en délire, et le second, de sens rassis ! Si en effet il était vrai, sans restriction, que le délire est un mal, ce serait bien parler. Mais le fait est que, parmi nos biens, les plus grands sont ceux qui nous viennent par l’intermédiaire d’un délire, Les quatre formes du délire inspiré des dieux. dont à coup sûr nous dote un don divin. On le voit en effet : la prophétesse de Delphes, b les prêtresses de Dodone, c’est dans leur délire qu’elles ont été pour la Grèce les ouvrières de nombre de bienfaits évidents, tant d’ordre privé que d’ordre public, tandis que, quand elles étaient dans leur bon sens, leur action se réduisait à peu de chose, ou même à rien. Après cela, parlerons-nous de la Sibylle ? de tous ceux qui, usant d’une divination qu’un dieu inspire, ont d’avance dicté à bien des gens, en bien des occasions, le droit chemin de leur avenir ? Ce serait s’attarder à ce qui est évident pour tout le monde.

Étymologies.

« Voici vraiment qui vaut la peine d’être produit en témoignage : cet autre fait que les hommes qui, dans l’Antiquité, instituaient les noms ne tenaient pas le délire, mania, pour une chose honteuse, non plus que pour un opprobre. Autrement, ils n’auraient pas en effet, c enlaçant ce nom-là au plus beau des arts, à celui qui permet de discerner l’avenir, appelé celui-ci manikê, l’art délirant ! Mais c’est parce qu’ils regardaient le délire