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PHÈDRE

Phèdre. — b Ce que tu dis là, Socrate, ne signifie rien ! Voici en effet quelle est justement la qualité, et même la qualité maîtresse, du discours : entre les éléments du sujet qui valaient la peine d’être exprimés, il n’en a laissé aucun de côté ! J’en conclus qu’en comparaison du langage de notre homme, il n’y a personne qui soit capable d’en tenir un autre, ayant plus d’abondance et de plus de valeur.

Autres idées sur l’amour.

Socrate. — Voilà quelque chose qu’il ne me sera plus possible, à moi, de te concéder ! L’Antiquité, sache-le, compte des Sages, hommes aussi bien que femmes, qui ont traité de ces matières, oralement ou par écrit. Ils me confondront si, pour l’amour de toi, je me range à ton avis !

Phèdre. — Qui sont-ils, dis ! où donc as-tu c entendu un langage supérieur à celui-là ?

Socrate. — Pour l’instant, ma foi, je ne suis pas à même, comme cela, de te renseigner ! Ce qui est clair, c’est que j’en ai entendu : la belle Sapho ? le sage Anacréon ? ou même quelque prosateur ? Sais-tu donc ce qui me le fait supposer ? Une mystérieuse plénitude de l’âme me donne, divin Phèdre, le sentiment d’être en état, s’il le faut, de soutenir ici le parallèle en termes différents, sans demeurer en-dessous ! Or ce n’est point, en tout cas, de mon propre fonds que me viennent ces idées-là : j’en ai la certitude, conscient que je suis de mon incompétence. Reste donc, voilà mon avis, que c’est à des sources étrangères, je ne sais d’où, que par l’oreille je me suis empli, d à la façon d’une cruche ! Mais une fâcheuse paresse d’esprit m’empêche de même me rappeler et dans quelles conditions et par quelles personnes j’ai ouï dire ces choses-là.

Phèdre. — Ah ! le plus généreux des hommes, tu ne pouvais mieux t’exprimer : de quelles personnes tu l’as ouï dire, dans quelles conditions, tu n’as pas en effet à m’en parler même si je t’en prie, pourvu que tu fasses ce que justement tu dis. En parallèle à ce qu’il y a dans le cahier, tu t’es engagé à parler différemment, à la fois mieux et avec non moins d’abondance, sans t’en inspirer. De mon côté, envers toi je m’engage, pareil aux neuf Archontes, à faire offrande à Delphes d’une image en or, grandeur naturelle, e non pas de moi seulement, mais aussi de toi !