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PHÈDRE

non, la vérité est que ce n’est ni l’un ni l’autre. J’en suis bien certain : puisque c’était de Lysias qu’il écoutait un discours, une seule audition ne lui a pas suffi, mais à maintes reprises, revenant à la charge, il a voulu se le faire dire, et l’autre b à lui obéir a mis de l’empressement. Pour lui cependant ce n’était pas encore assez, mais finalement des mains de celui-ci il a pris le cahier, et le voilà revoyant les passages qu’il désirait le plus revoir ; enfin, las de travailler ainsi et d’être resté assis depuis le petit matin, le voilà parti pour sa promenade, ayant déjà (c’est, par le chien ! ce que je crois) le discours dans la tête, d’un bout à l’autre, à moins qu’il ne fût très long. Et, s’il s’en allait hors des Murs, c’était pour s’exercer à le réciter ! Or, voici qu’il tombe sur un homme[1] dont c’est la maladie d’écouter des discours ; en le voyant[2], il s’est réjoui d’avoir là celui qui s’associerait à son délire corybantique[3], et il l’a invité à pousser plus avant. c Mais, prié de parler par celui qui se passionne pour les discours, voilà qu’il faisait des manières, tout comme s’il ne grillait pas de parler ! Et, pour finir, il était sur le point, au cas où l’on n’aurait pas consenti à l’écouter, de se faire entendre par force ! À toi donc, Phèdre, puisque bientôt il ne manquera pas de s’exécuter, de lui demander que ce soit dès maintenant. Phèdre. — Pour moi, en vérité, le meilleur parti, et de beaucoup, c’est de parler comme je pourrai ; attendu que tu me fais l’effet, toi, de n’être pas le moins du monde prêt à me laisser partir, que je n’aie, n’importe comment, pris la parole !

Socrate. — En effet, tu vois tout à fait juste en ce qui me concerne.

Phèdre. — Eh bien donc ! soit : je ferai comme j’ai dit. En réalité, d vois-tu, ce qu’il y a surtout, Socrate, c’est que je n’ai pas appris à fond le mot à mot du discours. Pour ce qui est toutefois du raisonnement, en presque tout ce qu’a dit

  1. Ou, en lisant autrement, sur l’homme dont…, comme si de Socrate c’était la passion notoire. N’est-ce pas plutôt un rappel de ce concours oratoire auquel Platon le fait participer dans le Banquet ?
  2. La répétition, dans de bons manuscrits, de ces deux mots traduirait, dit-on, l’enthousiasme excité en Phèdre par cette rencontre !
  3. Les danses des Corybantes, prêtres de la Déesse-Mère (Cybèle), avaient, par leur furieuse agitation, les apparences d’une passion forcenée, telle qu’est celle de Phèdre pour les discours.