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PHÈDRE

est requis logiquement pour en rendre compte sans être obligé de reculer sans fin de moteur en moteur. Mais, dès que sont épuisés les avantages de cette situation privilégiée, le mythe apparaît : il pose une donnée et il en développe toutes les conséquences, tant par rapport aux effets constatés qu’il s’agit d’expliquer que par rapport aux exigences générales de la doctrine. Il n’y a pas lieu d’y revenir ; mais, si l’on se reporte à ce que j’ai dit plus haut des postulats qu’elle implique, on verra aisément comment chaque détail vient s’y ajouter à la donnée première pour rendre compte de quelque effet observable ou pour satisfaire quelque exigence doctrinale interne. Ainsi Platon, sous peine de ne donner sur la réalité de l’âme que des vues fragmentaires et inconsistantes, est amené à déployer librement ses conceptions dans l’espace et dans le temps sous la forme d’une fable, en décrivant des configurations sensibles et des rapports de situation, en racontant les moments successifs d’une histoire fictive.

Le mythe serait donc pour lui plus que le réveil fortuit d’un génie poétique volontairement assoupi ; il serait plus aussi qu’un pis-aller, plus qu’un δεύτερος πλοῦς auquel le philosophe, dans sa navigation vers la vérité, demanderait de le conduire au port[1]. Il semble en effet qu’il réponde à une nécessité consciemment acceptée, délibérément utilisée et qu’on fait naître alors même qu’on pourrait s’en passer ; comme si le plus sûr moyen dont on dispose pour se faire entendre des hommes et éveiller en eux la pensée réfléchie était de parler d’abord à leur imagination. Le Phèdre me paraît être à cet égard singulièrement instructif, et autrement que par la seule considération du second discours de Socrate. D’une part on y voit en effet que les mythes traditionnels, ceux du folk-lore même, ont du prix aux yeux de Platon, et précisément en tant qu’on n’en dissout pas le contenu fabuleux. Bien plus, il y semble d’autre part tout prêt à en fabriquer, sans y être obligé par des nécessités internes du genre de celles que nous rencontrions tout à l’heure.

  1. Sur le sens de cette formule, voir Phédon, Notice p. xlviii n. 2.