Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
205 a
58
LE BANQUET

heureux les gens heureux ; et on n’a plus que faire de demander en outre en vue de quoi souhaite d’être heureux celui qui le souhaite : il semble bien, au contraire, que c’en est fini de répondre[1]. — Tu dis vrai, fis-je.

— Or ce souhait et cet amour sont-ils, à ton avis, quelque chose de commun à tous les hommes, et tous souhaitent-ils que les choses bonnes leur appartiennent toujours ; ou bien t’exprimerais-tu autrement ? — Non, comme cela, repartis-je : c’est quelque chose de commun à tous. — Pourquoi donc alors, Socrate, fit-elle, ne disons-nous pas de tous les hommes qu’ils aiment, s’il est vrai du moins que tous b aiment les mêmes choses et toujours ; et pourquoi, au contraire, tandis que nous le disons de certains, de tels autres ne le disons-nous pas ? — Je m’en étonne, répliquai-je, moi aussi[2]. — Eh bien ! dit-elle, il ne faut pas t’en étonner. Car, voilà, nous avons commencé par mettre à part une certaine forme de l’amour, puis nous lui appliquons la dénomination du tout et nous la nommons « amour », tandis que pour les autres formes c’est d’autres noms que nous nous servons. — Y a-t-il un cas pareil ? demandai-je. — Un cas pareil, le voici. Tu sais que l’idée de création est quelque chose de très vaste : quand en effet il y a, pour quoi que ce soit, acheminement du non-être à l’être, toujours la cause de cet acheminement est un acte de création. D’où il suit, et que tous les ouvrages c qui dépendent des arts sont des créations, et que les professionnels qui les exécutent sont des créateurs. — C’est vrai, ce que tu dis ! — Mais pourtant, reprit-elle, tu sais qu’on ne les appelle pas créateurs, mais qu’ils portent d’autres noms. Or, de la totalité de la création on a détaché une partie, celle qui concerne musique et métrique, et c’est la dénomination du tout qui sert à la désigner. Car c’est cette partie seulement, la poésie, qu’on appelle création, et créateurs, les poètes, eux dont le domaine est cette partie de la création[3]. — Tu dis vrai, fis-je. — Eh bien ! il en est de même pour

    retrouve, infra e, la phrase sous la forme qui paraît lui convenir également ici. Toute correction ou suppression semblent donc inutiles, à quelque endroit que ce soit.

  1. Parce que le bonheur est une fin dernière.
  2. L’amphibologie (cf. p. 49, 1) sera expliquée à partir de d.
  3. Ceci vise évidemment les paroles d’Agathon (196 e-197 b). Les