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LE BANQUET

drait être l’esclave ; eh bien ! pour l’empêcher de pratiquer une pareille conduite, il trouverait et des amis et des b ennemis, ceux-ci lui reprochant ses flatteries et sa servilité, ceux-là l’admonestant et rougissant pour lui. Toutes ces choses au contraire, faites par celui qui aime, sont en lui une grâce de plus, et la libéralité de notre coutume exempte sa conduite de tout reproche, dans l’idée que l’acte qu’il réalise est d’une incomparable beauté. Mais ce qu’il y a de plus étrange, c’est que, s’il faut en croire le dicton populaire, lui seul peut jurer et, s’il passe outre à son serment, obtenir le pardon des dieux ; car ce n’est pas un serment, dit-on, celui où est mêlée Aphrodite[1] ; preuve que les dieux comme les hommes c accordent à celui qui aime une liberté totale, telle que l’exprime la coutume en vigueur dans notre pays. Ainsi donc on pourrait penser que c’est une chose incomparablement belle d’après les principes qui font loi en cet État-ci, que d’être amant, et aussi de se montrer complaisant à l’égard de celui dont on est aimé. Mais d’un autre côté, quand on voit les bien-aimés placés par leurs pères sous la garde de pédagogues pour les empêcher de s’entretenir avec les amants, et le pédagogue soumis à cette consigne ; et d’autre part les jeunes gens de leur âge et leurs camarades leur adresser des reproches quand ils ont occasion de constater quelque fait de cet ordre ; enfin, à l’égard de ceux qui font ces reproches, l’attitude des autres, plus âgés[2], d qui n’empêchent rien, ne les grondent pas non plus de tenir un langage qui n’est pas de mise, — alors, si ce sont à leur tour ces faits qu’on a en vue, on estimera inversement que c’est la chose la plus vilaine du monde d’après les principes qui règnent chez nous.

“Mais voici, je crois, ce qui en est. En cette matière, rien d’absolu ; la chose, c’est ce que j’ai commencé par vous dire, n’a, toute seule et en elle-même, ni beauté ni laideur ; mais

    Je n’y change rien, car le sens au moins paraît clair. Si la philosophie semble aux Barbares capable de faire l’apologie de l’amour masculin (182 c déb.), elle peut l’être aussi de condamner les folies qu’il inspire. Dans les deux cas elle prétend régenter les mœurs ; Pausanias veut en être seulement l’observateur objectif.

  1. C’est un proverbe : Serments d’amour ne durent qu’un jour.
  2. On traduit d’habitude : des vieillards. Mais Pausanias veut, je crois, blâmer, chez des jeunes gens à qui leur âge doit donner de la