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se fondait sur le principe de contradiction pris en un sens absolu ; transposant dans la réalité la loi logique de la pensée, elle aboutissait à condamner l’expérience et tout ce qu’elle manifeste : le mouvement, le devenir, le jugement lui-même en tant qu’il consiste à unir à un sujet, qui est ce qu’il est, des attributs qui sont autre chose, en tant qu’il affirme la coexistence ou la succession en un même sujet de qualités contraires. L’impossibilité logique du jugement et de l’attribution était une des thèses favorites des Socratiques éléatisants, d’Euclide le Mégarique comme du Cynique Antisthène, l’élève de Gorgias. Or c’est à en établir au contraire la légitimité que vise ici la théorie de la participation : elle prétend expliquer comment par exemple cheval peut recevoir la dénomination de beau. Il était en outre nécessaire de déterminer en quel sens doit être entendu le principe de contradiction et, par conséquent, de traiter le problème des contraires. Car, si l’on refuse de se placer dans l’attitude éléatique, il est à craindre qu’on ne soit rejeté vers l’attitude diamétralement opposée de l’Héraclitéisme : la succession alternée de la mort et de la vie, où l’on avait cru trouver une raison de croire que nos âmes survivent à la destruction de nos corps, signifierait alors que dans la réalité il n’y a qu’un perpétuel échange des contraires, mais point d’essences absolues ni rien de stable et de permanent. Ainsi, le Phédon serait une étape sur la route qui mène de la discussion de l’Héraclitéisme dans le Cratyle aux analyses plus générales du Théétète et du Sophiste[1], dans lesquelles Platon cherche à définir sa position entre la thèse de la mobilité absolue du devenir et celle de l’immobilité absolue de l’être logique.

a. Il est donc naturel que, une fois posées et admises l’existence des pures essences et, avec elle, la participation, ce soit en effet la question des contraires qui se présente. Quand on dit de Simmias, à la fois qu’il est plus grand que Socrate et plus petit que Phédon, on affirme en Simmias la présence simultanée des deux choses, de la Grandeur et de la Petitesse ; il porte la double dénomination de grand et de petit ; entre les deux il est moyen. Mais d’autre part on con-

  1. Voir A. Diès, La définition de l’être et la nature des Idées dans le Sophiste de Platon, 1909, p. 94 sqq., et les éditions du Théétète et du Sophiste par le même auteur dans la collection Guillaume Budé.