Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
64 e
13
PHÉDON

d’une façon générale, selon toi, poursuivit Socrate, les préoccupations d’un tel homme ne vont pas à ce qui concerne le corps ? Mais au contraire, dans la mesure où il le peut, elles s’en détachent et c’est vers l’âme qu’elles sont tournées ? — Oui, sans doute. — Est-ce donc, pour commencer, dans des circonstances de ce genre que se révèle le philosophe, lorsque le plus possible, il délie 65 l’âme du commerce du corps, comme ne le fait aucun autre homme ? — Manifestement. — Et sans doute l’opinion de la foule est-elle, Simmias, qu’un homme, pour qui dans ces sortes de choses il n’y a rien d’agréable et qui n’en prend point sa part, ne mérite pas de vivre, mais que c’est au contraire toucher d’assez près au trépas, d’ainsi ne faire nul cas des plaisirs dont le corps est l’instrument ? — C’est la vérité même, assurément, ce que tu dis là.

— Et maintenant, pour ce qui est de posséder proprement l’intelligence, le corps, dis-moi, est-il, oui ou non, une entrave, si dans la recherche on lui demande son concours ? Ma pensée revient, par exemple, b à ceci : est-ce que quelque vérité est fournie aux hommes par la vue aussi bien que par l’ouïe, ou bien, là-dessus au moins, en est-il comme les poètes même nous le ressassent sans trêve[1], et n’entendons-nous, ne voyons-nous rien exactement ? Pourtant si parmi les sensations corporelles celles-là sont sans exactitude et incertaines, on ne saurait attendre mieux des autres, qui toutes en effet sont, je pense, inférieures à celles-là. N’est-ce pas aussi ton sentiment ? — C’est absolument certain, fit-il. — Quand donc, reprit Socrate, l’âme atteint-elle la vérité ? D’un côté en effet, lorsque c’est avec l’aide du corps qu’elle entreprend d’envisager quelque question, alors, la chose est claire, il l’abuse radicalement. — c Tu dis vrai. — N’est-ce pas par conséquent dans l’acte de raisonner que l’âme, si jamais c’est le cas, voit à plein se manifester à elle la réalité d’un être ? — Oui. — Et sans doute raisonne-t-elle au mieux, précisément quand aucun trouble ne lui survient de nulle part, ni de l’ouïe, ni de la vue, ni d’une peine, ni non plus d’un plaisir, mais qu’au contraire elle s’est le plus

  1. On cite Iliade V 127, Épicharme fr. 12 Diels, Parménide fr. 1, 34-37, Empédocle fr. 4, 9 sqq. (cf. fr. 17-21). Tout cela est, dans l’état de nos connaissances, bien problématique.