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GORGIAS

Socrate. — Voilà un point, semble-t-il, sur lequel nous sommes d’accord, toi et moi ?

Polos. — Oui.

Socrate. — Dans quels cas, selon toi, cela vaut-il mieux ? Dis-moi où tu traces la séparation.

Polos. — Réponds toi-même, Socrate.

c Socrate. — Eh bien, Polos, si tu préfères m’écouter, je te dirai donc que cela vaut mieux quand l’acte est juste, et que c’est mauvais quand il est injuste.


Le cas d’Archélaos.

Polos. — Le rude joûteur que tu fais, Socrate ! Mais un enfant lui-même te prouverait ton erreur !

Socrate. — J’en rendrais mille grâces à l’enfant, et je t’en rendrai à toi-même tout autant, si tu veux bien, en me réfutant, me débarrasser de ma niaiserie. Ne refuse pas, de grâce, ce service à un ami, et réfute-moi.

Polos. — Pour te réfuter, Socrate, il n’est pas nécessaire d’aller chercher des exemples bien loin dans le passé. Ceux d’hier et d’aujourd’hui d suffisent pour te convaincre d’erreur et te prouver que souvent l’injustice est heureuse.

Socrate. — Quels exemples, Polos ?

Polos. — Ne vois-tu pas Archélaos, fils de Perdiccas[1], régner en Macédoine ?

Socrate. — Si je ne le vois pas, du moins je le sais par ouï-dire.

Polos. — Te paraît-il heureux, ou misérable ?

Socrate. — Je ne sais trop, Polos ; je ne l’ai pas encore rencontré.

e Polos. — Eh quoi ! Tu le saurais si tu l’avais rencontré, et, sans sortir d’ici, tu n’as pas d’autres moyens de savoir qu’il est heureux ?

Socrate. — Je n’en ai aucun, par Zeus !

Polos. — Évidemment, Socrate, du grand roi lui-même, tu vas me dire que tu ne sais pas s’il est heureux !

  1. Il s’agit de Perdiccas II (454 (?) — 413). Archélaos n’était pas son fils légitime et ne s’était élevé et maintenu au trône que par une succession de crimes, dont Polos se fait ici le complaisant narrateur. Qu’il exagère ou non, toutes ces tragédies ne doivent pas faire oublier qu’Archélaos fut un des créateurs de la puissance macédonienne ;