Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80 b
249
MÉNON

jours, je crois, je m’en suis fort bien tiré. Mais aujourd’hui, impossible absolument de dire même ce qu’elle est ! Tu as bien raison, crois-moi, de ne vouloir ni naviguer ni voyager hors d’ici : dans une ville étrangère, avec une pareille conduite, tu ne serais pas long à être arrêté comme sorcier.

Socrate. — Tu es plein de malice, Ménon, et j’ai failli m’y laisser prendre !

Ménon. — Comment cela, Socrate ?

Socrate. — Je c devine pourquoi tu m’as ainsi comparé.

Ménon. — Et pourquoi donc, à ton avis ?

Socrate. — Pour qu’à mon tour je te compare. Je n’ignore pas le plaisir qu’on trouve, quand on est beau, en de telles comparaisons. Elles vous sont avantageuses ; car les images de la beauté ne peuvent elles aussi, j’imagine, être que belles. Mais je ne te rendrai pas image pour image. Pour ce qui me concerne, si la torpille, avant d’engourdir les autres, est elle-même en état d’engourdissement, je lui ressemble ; sinon, non. Je ne suis pas un homme qui, sûr de lui, embarrasse les autres : si j’embarrasse les autres, c’est que je suis moi-même dans le plus extrême embarras. Dans d le cas présent, au sujet de la vertu, j’ignore absolument ce qu’elle est ; tu le savais peut-être avant de m’approcher, quoique tu paraisses maintenant ne plus le savoir. Cependant, je suis résolu à examiner et à chercher de concert avec toi ce qu’elle peut bien être.


Reprise de la discussion :
comment trouver une chose dont on ne sait rien ?

Ménon. — Mais comment vas-tu t’y prendre, Socrate, pour chercher une chose dont tu ne sais absolument pas ce qu’elle est ? Quel point particulier, entre tant d’inconnus, proposeras-tu à ta recherche ? Et à supposer que tu tombes par hasard sur le bon, à quoi le reconnaîtras-tu, puisque tu ne le connais pas ?

Socrate. — Je vois ce que tu veux dire, Ménon. e Quel beau sujet de dispute sophistique tu nous apportes là ! C’est la théorie selon laquelle on ne peut chercher ni ce qu’on connaît ni ce qu’on ne connaît pas : ce qu’on connaît, parce que, le connaissant, on n’a pas besoin de le chercher ; ce qu’on ne connaît pas, parce qu’on ne sait même pas ce qu’on doit chercher.

Ménon. — 81 N’est-ce pas là, Socrate, un raisonnement assez fort ?