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MÉNON

vient d’arriver à Athènes, et désire connaître l’opinion de Socrate sur la question souvent débattue, si la vertu peut s’enseigner. Ce n’est pas l’avis de son maître Gorgias, qui se moque, dit-il, des sophistes lorsqu’ils ont la prétention d’enseigner la vertu, et qui se donne lui-même uniquement pour un maître de rhétorique (95 c). Ménon croit savoir ce que c’est que la vertu quand Socrate le lui demande, mais il en parle comme tout le monde, non en savant qui l’enseigne, et il n’a pas l’infatuation que Platon prête habituellement aux sophistes. À l’égard de Socrate, il est déférent, et Socrate à son tour le traite en ami, non en adversaire. Il a cette qualité qui est, aux yeux de Socrate, la qualité philosophique primordiale, l’inquiétude de savoir : à la fin du dialogue, il est tout près d’être un disciple, et il n’a jamais été un adversaire.

Quant à Socrate, il est d’abord le dialecticien minutieux, impitoyable, qu’il est partout et toujours dans la recherche d’une définition et dans la réfutation des idées fausses ou l’éclaircissement des idées confuses. Mais en outre, comme nous le verrons tout à l’heure, il apparaît ici sous des traits plus platoniciens que dans les dialogues purement « socratiques ».

Ne parlons pas de l’esclave, qui n’a pas de caractère propre.

Reste Anytos. Bien que celui-ci ne figure que dans quelques pages, sa physionomie est très vivante et dramatique. Il est présenté comme lié avec Ménon par des relations héréditaires d’hospitalité. C’est cependant par hasard, semble-t-il, qu’il se trouve présent à l’entretien et sa présence n’est signalée que vers la fin. Homme politique influent, il était naturellement désigné pour être l’interprète de la doctrine qui voit les véritables maîtres de la vertu dans le peuple, et spécialement dans le parti des « honnêtes gens », représentés par les chefs du peuple, les hommes d’État. Son portrait n’est qu’une esquisse, mais vivante, vraie, et très dramatique. Ses brèves réponses, tranchantes et dédaigneuses, trahissent à la fois la certitude du fanatique et la haine de l’homme d’action pour les remueurs d’idées. Il exècre tous les sophistes, parmi lesquels il range visiblement Socrate. Il ne se borne pas à les haïr en théorie : il les menace, et ses avertissements à mots couverts rendent un son tragique, par l’évocation anticipée de ce fait réel, la condamnation du philosophe coupable de ne pas penser comme tout le monde.