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GORGIAS

sidère chaque âme, sans savoir à qui elle appartient ; souvent mettant la main sur le Grand Roi ou sur quelque autre prince ou dynaste, il constate qu’il n’y a pas une seule partie saine dans son âme, qu’elle est toute lacérée et ulcérée[1] par les parjures et les injustices 525dont sa conduite y a chaque fois laissé l’empreinte, que tout y est déformé par le mensonge et la vanité et que rien n’y est droit parce qu’elle a vécu hors de la vérité, que la licence enfin, la mollesse, l’orgueil, l’intempérance de sa conduite l’ont remplie de désordre et de laideur : à cette vue, Rhadamante l’envoie aussitôt, déchue de ses droits, dans la prison, pour y subir les peines appropriées.

Or la destinée de tout être qu’on châtie, si le châtiment est correctement infligé, consiste bou bien à devenir meilleur et à tirer profit de sa peine, ou bien à servir d’exemple aux autres[2], pour que ceux-ci, par crainte de la peine qu’ils lui voient subir, s’améliorent eux-mêmes. Les condamnés qui expient leur faute et tirent profit de leur peine, qu’elle vienne des dieux ou des hommes, sont ceux dont le mal est guérissable : ils ont pourtant besoin de souffrances et de douleurs, sur terre et dans l’Hadès, car sans cela ils ne guériraient pas de leur injustice. cQuant à ceux qui ont commis les crimes suprêmes et qui à cause de cela sont devenus incurables, ce sont ceux-là qui servent d’exemple, et s’ils ne tirent eux-mêmes aucun profit de leur souffrance puisqu’ils sont incurables, ils en font profiter les autres, ceux qui les voient soumis, en raison de leurs crimes, à des supplices terribles, sans mesure et sans fin, suspendus véritablement comme un épouvantail dans la prison de l’Hadès, où le spectacle qu’ils donnent est un avertissement pour chaque nouveau coupable qui pénètre dans ces lieux.

dArchélaos, je l’affirme, sera l’un de ces misérables, si Polos a dit vrai, et de même tout autre tyran pareil à lui. Je crois

    reprendra à 524 e, pour être de nouveau coupée, de 525 b à 526 c, par des commentaires de Socrate associant au mythe les thèmes du dialogue.

  1. Le grec reprend pour parler de l’âme les mots mêmes (coups de fouet, cicatrices) qui avaient servi à peindre les déformations du corps. Abstraitement trois termes caractérisent cet état de l’âme : mensonge, disproportion, désordre ; les trois termes contraires, beauté, proportion, vérité définissent dans le Philèbe (65 a) l’idée de bien.
  2. C’est la théorie exposée dans le Protagoras (324 a-b) par Prota-