Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.
510 d
202
GORGIAS

Calliclès. — Oui.

Socrate. — Voilà donc celui qui réussirait à se mettre à l’abri de l’injustice et à devenir, comme vous dites, tout-puissant dans la cité.

Calliclès. — Parfaitement.

Socrate. — Réussira-t-il aussi bien à ne pas commettre lui-même d’injustice ? N’est-ce pas au contraire fort invraisemblable, puisqu’il ressemble au maître qui s’en rend coupable et qu’il jouit de toute la faveur de celui-ci ? Je crois bien plutôt, quant à moi, que tous ses efforts tendront à se mettre en état de commettre le plus d’injustices possible et à ne pas porter la peine de ses fautes[1]. N’est-ce pas vrai ?

Calliclès. — C’est probable.

Socrate. — Il aura donc en partage le plus grand des maux, une âme mauvaise et souillée, à cause de l’imitation du maître et par l’effet de sa propre puissance.

Calliclès. — Je ne sais comment tu fais, Socrate, pour mettre sens dessus dessous tous les raisonnements ! Ne vois-tu pas que l’imitateur du tyran pourra, s’il lui plaît, faire périr l’homme qui se refuse à cette imitation, et lui enlever tous ses biens ?

Socrate. — Je le sais, excellent Calliclès. À moins d’être sourd, comment ne l’aurais-je pas entendu répéter maintes fois par toi-même, par Polos auparavant, et par tous les Athéniens, ou presque tous ? Mais à ton tour écoute ceci : oui, cet homme tuera s’il le veut, mais c’est un méchant qui tuera un honnête homme.

Calliclès. — N’est-ce pas justement là ce qui rend la chose plus révoltante ?

Socrate. — Non, aux yeux de la raison, ainsi qu’il est facile de le démontrer. Crois-tu donc que la tâche essentielle pour l’homme soit de s’assurer une longue vie et de pratiquer les arts qui nous préservent des périls, comme cette rhétorique que tu me conseilles de cultiver, parce qu’elle nous défend devant les tribunaux ?

Calliclès. — Oui certes, par Zeus, et le conseil est bon !

  1. Le moyen le plus sûr de n’avoir pas à subir l’injustice (préoccupation principale de Calliclès) se révèle donc comme étant celui qui risque de vous amener le plus sûrement à la commettre (et ainsi de vous causer le pire des maux). Ce qui tout à l’heure surpre-